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DE QUELQUES CARACTERISTIQUES, BANALES OU ORIGINALES, DE CE JOURNAL...
PARUTION
De la fin de septembre 1904 au tout début d'août 1914, « ar Bobl » paraît chaque semaine, le samedi, jour de marché à Carhaix, sauf au cours d’une assez brève interruption du 11 janvier au 11 avril 1908 (502 numéros).
Une souscription est lancée fin 1907 afin de soutenir un journal en difficultés financières.
Voici quelques noms de souscripteurs:
Octobre 1907: Joseph Lostanlen, Poullaouen; Joseph Le Roux, Collorec; Jean Stervinou, Laz; Cécile Postollec, Carhaix; Jean Solu, Carhaix; Joseph Le Gall, Duault; Pierre Mahé, Bourbriac; Le Cras, Le Roux, Le Guern, (Le Saint). Jean Marie Tanguy, aubergiste, Le Saint; Joseph Cadou, sabotier; Jean Cospérec, maître couvreur (ardoises); famille Calvez, Plouguer; Le Moal, dépositaire ar Bobl, Glomel; Toulgoat, dépositaire ar Bobl, Roudouallec; Mahé, commerçant, bourg de Trégourez; Yves Desbordes, Carnoët; Pierre Guillou, Carnoët; Joséphine Le Gac, Carnoët; Jean Marie Soliman, Carnoët; Jean Marie Jaouen, Bolazec; Le Corre, Bolazec; Guillerm, dépositaire ar Bobl, Plusquellec; Chauvel, dépositaire ar Bobl, Carnoët; François Dincuff, Carnoët; François Bosquet, Carnoët; François Boulanger, Carnoët; Jean Marie Calvez, maire de Treffrin; Jean Louis Montfort, Plounévézel; Catherine Croizier, Treffrin; Jean Louis Croizier, Trébrivan; Marie Nicol, Treffrin; Rozellec, Cléden-Poher; Yves Follézou, Carnoët; François Lorinquer, Plusquellec; Jean Louis Jourdren, Bolazec; Louis Lagadec, Quefforc'h en Scrignac; François Laizet et Louis Jourdain, Berrien
Novembre 1907: Julien Godest, cultivateur, Callac; Yeun Karic, comis (sic), Huelgoat; André Garrec, Carhaix; Bargain et Mahé, Le Faouët
Décembre 1907: Ravalec, Coray; Alexis Scourvil, Trélazé; Jean Dornou, Louis Salaün, rue de Clignancourt, Paris; Charles Goaëc, cultivateur, Kerenor, Plouguer; Michel Laz, tailleur à Coray.
Rien n'y fait: Taldir explique ainsi l'interruption de la parution de son "enfant":
"KENAVO
Ce numéro sera le dernier d'Ar Bobl.
La seule raison qui m'oblige à suspendre sa publication consiste dans les frais considérables -se chiffrant par un déficit de 3000 Francs - que m'occasionnent (sic) l'édition du journal grand format.
A force de courage, mais grâce surtout au zèle de mes amis, peu fortunés pour la plupart malheureusement, j'étais parvenu à un tirage variant de 5 à 6 000 exemplaires par semaine [...] Mais la vente au numéro est une perte sèche; il faut compter en plus avec les frais de papier et de timbres, avec les "bouillons" d'invendus et combien d'autres imprévus. Mes abonnements n'étaient pas en nombre [...] Quoique mes annonces fussent assez nombreuses, beaucoup d'Agences véreuses ne m'ont jamais réglé; d'autres annonciers locaux n'entendaient payer que des prix dérisoires [...]
Je me retire donc de la lutte en pardonnant à mes ennemis, dont la grande colère m'a souvent amusé.
Ar Bobl recommencera à paraître si je réussis dans mon projet de constituer un Conseil d'Administration, parmi les riches personnalités de la Bretagne régionaliste. Ce Comité prendrait à sa charge les frais d'impression du journal et lui donnerait sa note politique.
Si des Bretons conscients de la nécessité de la diffusion de la presse dans le centre de la Bretagne se sentent capables de cet Effort, je reste à leur disposition.
Jaffrennou
Ar Bobl, 4 janvier 1908
L'hebdomadaire reprend vie grâce à l'aide d'actionnaires aisés: propriétaires terriens, prêtres, industriels. Mais Taldir doit passer sous leurs fourches caudines, c'est-à-dire suivre une ligne nettement plus conservatrice et cléricale que au cours de la période 1904-1907
Taldir salue la longévité de son journal
"Avec ce numéro, Ar Bobl compte 200 semaines de parution.
Nous sommes arrivés [...] à occuper, dans la presse régionale, une place honorable. Ce n'est pas à nous, mais à nos amis, connus et inconnus, que le mérite en revient. Que nous eut servi de lutter pour la Bretagne si le dévouement caché d'un grand nombre n'eut anéanti les effets de l'hostilité inconsidérée de quelques autres ?
Il nous plaît de reconnaître que c'est à nos souscripteurs, sans cesse plus nombreux, à nos petits déposants des bourgs qui ont appris, un peu à notre école, des leçons d'indépendance; enfin, à nos annonciers, sans oublier MM. les officiers ministériels, que notre feuille doit sa vitalité.
Merci à tous sans distinction. Nous n'épargnerons aucun effort pour conserver la situation acquise, l'améliorer si Dieu permet et, sans contrainte comme sans achat de consciences, par la seule persuasion, faire entrer notre programme dans les masses agricoles.
On n'est jamais sûr d'être dans l'absolue vérité; cependant, il est vraisemblable que nous aurons contribué à réaliser l'union et l'entente entre tous les braves gens et tous les travailleurs honnêtes du pays breton
Taldir"
Ar Bob, 24 octobre 1908
LECTORAT
Les sous-titres successifs choisis par Jaffrennou, tête pensante du comité de rédaction (Solu, Le Berre, Le Menn, Le Floc’h, Diraison, Radiguet, Duhamel) témoignent de la volonté de toucher aussi bien les Bretons de Bretagne que ceux qui ont émigré, les agriculteurs que les intellectuels, les ecclésiastiques que les employés, les nobles que les carriers…
Voici ce qu'écrit Taldir
En 1912
Bloavez mad 1913 Bloavez mad d'an holl Vretoned D'hon c'herent ha d'hon mignoned D'hon lennerien Breiz ha Bro-C'hall Ha d'hon gwerzerien koulz hag all D'ar Barz, d'ar belek, d'ar Bourc'hiz Ar re anê gav mad hon giz Bloavez mad da Fant ar Vatez Da Iannig Kouer, debrer patatez Ha da gemend den, ru pe nobl, Mar deo eur c'hamarad d'ar Bobl |
Bonne année 1913 Bonne année à tous les Bretons A nos parents et à nos amis A nos lecteurs de Bretagne et de France A tous nos vendeurs Au barde, au prêtre, au bourgeois A ceux d'entre nous qui aiment nos coutumes Bonne année à Françoise la servante A Jeannot le paysan, mangeur de patates Et à chacun, rouge ou noble S'il soutient ar Bobl
|
Ar Bobl, n° 419, 28 décembre 1912 | Traduction: Jean Yves Michel, octobre 2013 |
dans le numéro 325 du 18 mars 1911
"Ar muia lennet ar gazetennou e Breiz Izel eo "ar Bobl". Mond a ra ti pinvidik ha paour"
"Le journal le plus lu en Basse-Bretagne est "ar Bobl". Il pénètre chez les riches comme chez les pauvres"
Traduction: Jean Yves Michel, juillet 2014
puis dans le numéro 339, du 24 juin 1911:
"Ar Bobl a des abonnés dans toutes les classes sociales. Il est lu dans chaque maison dans un périmètre de huit lieues autour de Carhaix"
et dans le numéro 408 du 12 octobre 1912
"Ar Vretoned o deuz lennet eur wech gazetenn "Ar Bobl" a zeu n'int ket vit tremen hep hi"
"Les Bretons qui lisent une fois le journal "Ar Bobl", ne peuvent plus s'en passer"
Traduction: Jean Yves Michel, juillet 2014
Cependant, il arrive que les rédacteurs d'ar Bobl, informés de manière erronée, reçoivent une lettre de rectifications, qu'ils s'empressent généralement de publier.
Ainsi, dans son édition du 13 janvier 1906, Ar Bobl rapporte la cérémonie de décoration du Mérite agricole accordée à M. Daniel, de Spézet, et à ce dernier remise par M. Anthoine, maire radical-socialiste de Carhaix, en présence de M. Ollivet, maire libéral de Spézet et de Baniel, adjoint rad-soc et Rivoal, adjoint libéral, à l'occasion de la visite des écoles
Dans la semaine, la rédaction, rue des carmes à Carhaix, reçoit le poulet, en breton, suivant...
Histor fentus divarbenn eun dekorasion. Setu ama petra skriv d'emp eul lenner deuz parrez Speyed " Aotrou, En ho journal disadorn, c'houi a gont eun drol a histor divar benn dekorasion "Ian Pont ar Stang". N'ouzon ket pelec'h eo bet kelaoucher o klask e gelaou, mez n'eus ket eur pez gwirione er c'helou-ze, ha setu ama penoz "Ian ar Stang", pe mar kavet gwell, an Daniel, deuz Speyet, a zo eun den kez ha na oar na lenn na skriva, ne oar nemed kamma e ilin. Bet eo dekoret gant Aotrou Anthoine, Maër Keraez, e-pad eureud merc'h Ar Gwen, ha n'eo ket e-pad vizit ar skoliou. Ama n'euz bet vizit skoliou a-bed ! Lavaret a ra ive ho skrivagner penoz an A. Rivoal, adjent-maër, a oa prezent eno. N'eo ket gwir ze, Rivoal n'a ket d'al leinou-eured pa ne ve ket pedet da vond. An de-ze e oa barz Gourin. Hag evid echui, lezet ac'hanon da lavaret deoc'h penoz omp bet ken souezet o weled dekori Ian Pont ar Stang deuz merit al labour-douar, evel m'omp bet o weled Anthoine o staga ar ruban d'eza. Piou nije gleet staga ar ruban, mar n'eo ket maër Speyet e-hunan an hini eo, an Aotrou Ollivet ? Eur mignon |
Une histoire amusante à propos d'une décoration. Voici ce que nous écrit un lecteur de la commune de Spézet "Monsieur, dans votre journal de samedi, vous racontez une drôle d'histoire à propos de la décoration de "Jean du pont de l'étang".. Je ne sais où votre pêcheur de nouvelles est allé chercher celle-là, mais elle ne contient pas une once de vérité, de fait "Jean du pont de l'étang", ou si vous préférez, Le Daniel, de Spézet, est un pauvre sire, qui ne sait ni lire ni écrire, mais seulement plier le coude. Il a été décoré par M. Anthoine, maire de Carhaix, pendant les noces de la fille Le Guen, et non pendant la visite des écoles. Il n'y a jamais eu de visite des écoles ici ! Votre rédacteur prétend aussi que M. Rivoal, adjoint au maire était présent. C'est faux, Rivoal ne participait pas aux repas de noces, car il n'y avait pas été convié. Ce jour-là, il était à Gourin. Et pour terminer, laissez-moi vous dire à quel point nous avons été stupéfaits que Ian Pont de l'étang soit décoré par Anthoine, maire de Carhaix, qui a attaché le ruban. Qui aurait dû épingler la décoration, sinon le maire de Spézet en personne, M. Ollivet ? Un ami |
Ar Bobl, 20 janvier 1906 |
Traduction: Jean Yves MICHEL, juin 2018 |
Même s'il se heurte à des détracteurs, contre lesquels il ferraille volontiers, Ar Bobl est parfois chaudement félicité
Ar Bobl, 24 septembre 1910
Où sont les lecteurs potentiels ?
- A Carhaix, petite ville, capitale de la Haute Cornouaille et qui compte un peu moins de 3500 habitants en 1911
Dans les gros bourgs ruraux, comme Gourin, Châteauneuf-du-Faou, Le Huelgoat, Le Faouët, Guémené-sur-Scorff, Rostrenen; voici la structure socio-professionnelle de Callac (Côtes-du-Nord = Côtes d'Armor), 3600 habitants en 1911
- Enfin dans les communes rurales et agricoles qui forment le fond de la population du Poher
Voici l'exemple de Paule (Côtes-du-Nord) qui compte 1927 habitants en 1911
Le palmarès du concours de cidre interdépartemental (qui sont les membres du jury ?) de Noël 1913 organisé par Ar Bobl donne une idée du lectorat:
"1- Cabillic, Ecole d'agriculture, Rennes 2- Guedes Pierre, cultivateur, Châteaulin - 3- Henry Jean Louis, Kervinen, Lennon 4- Quelen Herry, ville de Châteaulin 5- Le Bec Yves, Roskornoa, Poullaouen 6- Léon Jean Marie, instituteur, Saint-Hernin 7- Brenner, Penn ar Prat, Lopérec - 8-Kerou Yves, Lez Kastell, Plougonver 9- Riou Michel, instituteur, Callac 10- Dupuis Jean, instituteur, Le Saint 11- Le Boulc'h Jean Marie, Guerdefeu, Scrignac 12 - Magorou Théodore, Rest Kostiou, Kergrist 13- Thomas François, Toul an Alle, Carnoët 14- Leizour Joseph, Plougonver 15 - Le Devedec Pierre Marie, VILLEBON (SEINE-ET-OISE) 16- Lozac'h Jean, Huelgoat 17- Nédélec Pierre, Plouigneau 18 - Tromeur, Kerivarc'h, Brasparts 19 - Lamendour, Plounéour-Ménez 20- Péron Guillaume, Cloître-Saint-Thégonnec"
Ar Bobl, 7 février 1914
Dans le numéro 366, daté du 30 décembre 1911, Taldir dresse la liste des 124 concurrents âgés de moins de 17 ans qui participent au concours de rédaction d'un texte en breton sur un sujet imposé par Ar Bobl:
Carhaix: 14 concurrents; Poullaouen: 3; Plouguer: 3; Saint-Hernin: 2; Carnoët: 11; Le Moustoir: 4; Trébrivan: 1; Plévin: 1; Maël-Carhaix: 2; Plusquellec: 2; Locarn:3; Duault: 2; Callac: 3; Huelgoat: 4; Scrignac: 3; Locmaria: 1; Landeleau: 1; Rostrenen: 2; Glomel: 1; Kergrist-Moëlou: 2; Gourin: 1;Collorec: 1; Laz: 1; Lohuec: 2; Plouguernével: 1; Calanhel: 1; soit 72 constituant le "premier cercle"
Scaër, : 1; Pleyben: 2; Plomodiern: 1; Lopérec: 1; Plougonver: 3; St-Gilles-Pligeaux: 1; Caurel: 1; St-Nicolas-du-Pélem: 1; Guiscriff: 1; Le Saint : 1; Belle-Isle-en-Terre: 1; voilà pour le deuxième cercle
Milizac: 1; Lesneven: 1; Bodilis: 1; Morlaix: 6; Lanmeur: 2; Plouégat-Moysan: 1; Guerlesquin: 1; Concarneau: 1; Quimper: 1; Le Guilvinec: 1; Lannion: 1; Languidic: Lanester: 1 constituant le troisième cercle
Et enfin, au loin: Nantes: 1; Le Havre: 2; Paris: 2
On notera que Brest, ville "française" n'a fourni aucun concurrent
Parmi les vainqueurs de concours de Noël 1910 figurent un Le Barc, camionneur à Nantes, un Le Menn, de Vendôme (Loir-et-Cher), un Gouriou François, instituteur à Nanterre (Seine) et un Jules Gros, domicilé Bulowstrasse, à Berlin, Allemagne !!!
Les gares où l'on peut acheter - ar Bobl, n° 2, 1er octobre 1904
Il faut ajouter à cette liste la gare Saint-Lazare (Paris, VIIIe arrondissement)
La "zone d'action du journal" (sic)
Le "coeur" de l'ensemble géographique de diffusion de l'hebdomadaire est le Poher dont Taldir donne ci-dessous la composition:
"Le Poher – Il compte 11 cantons : Maël-Carhaix, Rostrenen, Gouarec, St-Nicolas-du-Pélem, Mûr-de-Bretagne, Callac, Bourbriac, Carhaix, Châteauneuf-du-Faou, Le Huelgoat, Gourin"
N° 225, 17 avril 1909
Soit 7 cantons des Côtes-du-Nord, 3 du Finistère, un du Morbihan. En 1913, Taldir affirme que son journal est en vente dans 200 communes rurales
Voici une vue aérienne de la commune natale de Taldir: Carnoët, établie sur une plateau (pénéplaine) coupé de vallées à pentes raides, offrant à l'oeil une marqueterie de champs de toutes tailles et formes limités par des talus plantés (bocage). Au bourg, qui concentre la mairie (invisible, derrière l'église), le cimetière, l'école, quelques ateliers d'artisans (dont celui de l'arrière-grand-père de l'auteur de ce site), s'opposent les fermes dispersées situées à l'extrémité de chemins creux humides et boueux.
Voici la carte de la Bretagne centrale parue dans le numéro 416, du 7 décembre 1912
Convergence d'intérêts entre Ar Bobl et des hôteliers
Et, en 1914, ar Bobl ajoute une troisième corde à son arc: des articles en anglais, gallois, édités sur une page spéciale. Il est vrai que Taldir pratique assez bien la langue anglaise pour servir de lien entre des régiments français et anglais sur le front de la Somme durant la Grande Guerre.
Ar Bobl, 14 février 1914
MAIS le Breton du bourg ou des hameaux ne capte les nouvelles nationales que des annonces faites à la messe; quant aux nouvelles locales, essentielles à ses yeux, elles ne lui parviennent que par la bouche des ses voisins et du tambour de ville, que voici:
Charles RIVIERE (1848-1920), le Tambour de ville, vers 1914
Huile sur toile, 146,5 * 115 cm - Collection Musée du Faouët - Cliché Musée du Faoüet
Avec l'aimable autorisation de M. le Maire du Faouët (août 2015)
UN VECTEUR DE PROGRES DE LA LANGUE BRETONNE:
"Constatation:
Il y a dix ans quand Jaffrennou a fondé ar Bobl à Carhaix, il n'existait pas de dépôt de journaux dans une commune rurale sur dix à trente kilomètres autour de Carhaix.
En créant des dépôts partout, ar Bobl a forcé son ami paysan à lire. Aujourd'hui, nous garantissons qu'il n'y a pas une commune dans le Centre-Bretagne qui n'ait son dépôt d'ar Bobl. A notre suite, d'autres journaux ont pu pénétrer à leur tour.
Notre vente au numéro dans les campagnes est aujourd'hui des deux tiers plus élevée qu'elle n'était au début. Conclusion: le journaliste collabore à l'instruction; le journal est la meilleure des oeuvres post-scolaires. Il faut que celui qui est sorti de l'école à treize ans continue de lire les journaux, divers journaux pour se faire lui-même une opinion, tout en réservant sa préférence à ceux qui impriment du breton qu'on ne leur a pas enseigné à lire en classe et qu'il doit conséquemment apprendre tout seul après"
Ar Bobl, n° 461, 18 octobre 1913
ORIENTATION POLITIQUE ET CONTENUS
La Dépêche de Brest salue ainsi la naissance d'Ar Bobl:
"Carhaix - M. Jaffrennou vient de fonder à Carhaix un nouveau journal, ar Bobl. Au point de vue politique, ce journal déclare qu'il se joindra à ceux qui voient dans la religion la sauvegarde intellectuelle et matérielle"
Edition du dimanche 2 octobre 1904
François Jaffrennou ne se lasse pas de présenter son journal comme une institution vitale pour l'Argoat:
"Par son tirage hebdomadaire (6000 numéros dont 1000 abonnés), AR BOBL est l'organe le plus autorisé du pays bretonnant. Absolument indépendant, son but est la rénovation de la nationalité bretonne, la défense de tous les intérêts matériels et moraux des Bretons.
Répandre et faire lire Ar Bobl, c'est apporter sa collaboration au Régionalisme pratique et démocratiser les choses de l'esprit !"
Ar Bobl, 2 décembre 1911
Qu'est-ce que la "nationalité bretonne"? Qu'est-ce "démocratiser les choses de l'esprit" ?
Lorsque, en janvier 1908, Taldir publie un éditorial contenant son analyse de l'année écoulée, il ne peut s'empêcher de chevaucher ses thèmes favoris, qui sont autant de leitmotivs du régionalisme .
"1907 Setu ni adarre interet ganeomp eur bloavez all -bet pouezuz var meur ar boënt; - n'eo ket didalvoudek marteze teuler eur zell-gorn var eur darn bennag deuz 'h digouezadennou. Kiriek a dristidigez vraz da beb-unan ahanomp eo bet gwelet hon Gouarnerien o vont d'ambarki evel tud dall en eur brezel eneb ur Vorianed, gras da behini ouspenn daou c'hant soudard a zo bet lac'het pe vleset dija, hag e deuz lakeet Franz da foueta malaprepoz eur som a 20 milion var zigare kaout an enor da lavaret:" Me eo jandarm an Europ !". Ahendall, ar peoc'h a ren etre broiou Europ. Ar rouane hag ar republikou a gemer aoun deuz ar brezel. [...] Evelse, ar brezel a zeuio da veza eur walen ken boull [...] evel ma 'z eo ar gernez hag ar vosen. [...] E welomp gant plijadur penoz marc'had Breiz Izel a ia mad tre. Marc'had al loened dreist-holl a zo 'n em zalc'het uhel; ha stad al labourerien divar ar meaz a zo dre ze gwellaët eun neubeudik. Stad an dud ar vor a zo eet war wasaat. Ar pesked a zo bet rouez tre. Kalz a besketourien a zo bet red d'ezo mond da vengleuzerien. Ha, siwaz, pemzek morutier ha tri-ugent, deuz Sant-Malo, beuzet var al lestr Angler en eur zistrej deuz An Douar-Nevez. Meingleuziou meinglaz Kerne a zeu ive da greski ha da roï labour da vui-ouz-vui a ouvrierien. [...] Mez mar ia mad awalc'h gand traou ar c'horf, red eo lavaret penoz an avantajou brasoc'h a denner brema deuz ar c'honversou hag al labour a zo kollet peuz-holl evel en eur mor heb fonz, ebarz kresk dibaouez ar c'hontribusionou, ar patantou, an deveriou, etc... Seul vui ma kresk pinvidigez Franz, seul vui ma kresk ive lonkerez hag avi ar re a zo 'n em voutet er plasou uhel. An deputeed a zo deut a-benn da greski o faë d'ezo hunan. Ar fonksonerien didalve evid eun hanter vraz, a c'houll kresk paë bemdez.; en eur gir, priz ar vuhez a gerra dre ma tigouez muioc'h a arc'hant etouez an dud. An traou eta a chom memez tra. Er Gambr, diou lezen bouezuz a zo tremenet en penn diveza ar bloaz: an amzeriou eksersis evid ar reservisted a zo bet berraët; an donezonou great d'an ilizou gant tud varo da lakat pedi evito a zo bet tennet digant ar veleien ha roët d'an tier a vadobererez. Den honest ebed n'all amproui hevelep haëronsi, fors pe greden a zo en e galon. Ahendall, n'hon euz ket kenneubeud d'en em lawenet deuz oberou ar Parlamant er bloavez 1907. O amzer a zo bet holl impliet evel kustum da dregas ar relijion; reform talvouduz a-bed n'eus bet votet evid gwellaat stad al labourerien a beb micher, na kenneubeud evid rei muioc'h a frankiz d'ar c'hontreou. Ar C'hreizadek a chom en he zao ken spontuz. Na klemmou ar C'hreizdeiz, beuzet dindan an dic'hlan ha revinet gant diwerz ar gwin, na goulennou leal ar Vretoned bemdez humiliet gant divergontiz o mestrou gall, netra n'euz gallet dond a-benn da rei d'ar broiou bihan eun tam galloud. Evid krenna berr, 1907 a zo bet eur bloavez etre daou, dru evid eur re, treut evid ar re-all; iec'heduz d'eur re, marvel d'eul lod-all. Evelse 'ma kont hag a vo kont bepred. Maleur lod a zervijo da demz da voneur lod-all, rag ar Beo n'eus ken rezon all da veza nemed ar Maro. Jaffrennou |
"1907 Voici que nous enterrons une autre année, importante sur plus d'un point; peut-être n'est il pas sans importance de jeter un coup d'oeil en arrière sur quelques-uns des événements de 1907. Chacun d'entre nous est envahi par une gigantesque tristesse en voyant nos gouvernants s'embarquer comme des aveugles dans une guerre contre les Marocains, qui a déjà tué ou blessé plus de deux cents soldats et conduit la France à dilapider mal à propos une somme de 20 millions avec pour seul prétexte l'honneur de pourvoir s'exclamer "Je suis le gendarme de l'Europe !". Par ailleurs, la paix règne entre les Etats européens. Les royaumes et les républiques prennent peur de la guerre. Ainsi, la guerre deviendra un malheur aussi rare que la famine ou la peste. Nous voyons avec plaisir que le commerce bas-breton se porte bien. Le commerce des animaux surtout s'est maintenu à un niveau élevé; et le sort des paysans en a été quelque peu amélioré. La situation des gens de mer s'est affaiblie. Le poisson se fait bien rare. Beaucoup de pêcheurs sont contraints de devenir carriers. Et, hélas, 75 pêcheurs morutiers, du navire Angler se sont noyés lors de leur retour de Terre-Neuve. L'activité des carrières d'ardoises de Cornouaille croît, créant ainsi de plus en plus d'emplois pour les ouvriers. Mais même si les activités manuelles vont bien, il faut dire que les plus grands avantages tirés du commerce et du travail sont presque tous annulés, comme dans une mer sans fond, par l'augmentation incessante du coût des contributions, des patentes, des devoirs, etc... Chaque fois que la fortune française s'accroît, chaque fois la soif, l'envie de ceux qui se sont hissés aux places élevées grandit. Les députés ont, d'eux-mêmes, sans tarder, augmenté leur indemnité. Les fonctionnaires dont une majorité ne vaut rien, réclament quotidiennement une augmentation de salaire; en un mot, le coût de la vie enchérit parce que les gens disposent de davantage d'argent. Donc rien ne change. La Chambre a accouché à la fin de l'année de deux lois de poids: les "périodes" des réservistes des armées ont été raccourcies; les donations, accordées aux églises, de leur vivant, par les décédés, afin que le clergé prie pour le repos de leur âme, ont été ôtées aux prêtres et données à des maisons de bienfaisance. Aucune personne honnête, à la foi enracinée, ne peut approuver pareille escroquerie. Par ailleurs, nous n'avons aucune raison de nous réjouir des mesures prises par le Parlement en 1907. Il a employé tout son temps, comme d'habitude, à persécuter la religion. Aucune réforme importante n' a été votée en faveur des ouvriers de quelque métier que ce soit, rien n'a été fait pour donner aux provinces périphériques une quelconque liberté. La capitale reste épouvantablement toute-puissante. Ni les plaintes du Midi, noyé sous les inondations, et ruiné par la mévente du vin, ni les demandes loyales des Bretons quotidiennement humiliés par les maîtres français, rien ne semble imminent qui donnerait aux provinces un peu de pouvoir. Pour résumer, 1907 a été une année ambivalente, grasse pour les uns, maigre pour les autres; de bonne santé pour les uns, mortelle pour les autres. C'est ainsi et cela le sera toujours. Le malheur des uns fait le bonheur des autres, les Vivants n'étant pas plus raisonnables que les Morts. Jaffrennou |
Ar Bobl, 4 janvier 1908 |
Traduction: Jean Yves MICHEL, novembre 2018 |
ANALYSE SUCCINTE DU CONTENU DE CET EDITORIAL
1) La conquête du Maroc: Taldir y est hostile; pour quelles raisons ? par pacifisme foncier, anticolonialisme, crainte d'une guerre préventive déclenchée par l'Empire allemand qui convoite aussi des ports marocains ? Ou bien à cause du coût de cette guerre: soldats tués ou blessés, dépenses et donc augmentation des impôts ? Ou encore parce que l'Eglise catholique n'est pas favorable à une pénétration française en terre musulmane, étant donné le très faible taux de conversion des mahométans au christianisme.
2) Le "coq français" dressé sur ses ergots: le "gendarme de l'Europe". La France aspire à effacer le désastre de Sedan (1870). Ella a noué une Triple Entente dont le but est de tuer dans l'oeuf les ardeurs belliqueuses de Guillaume II. Mais Taldir se met le doigt dans l'oeil en tablant sur la disparition du tryptique qui a tant effrayés nos ancêtres: "la guerre, la famine, la peste".
3) La Bretagne: amélioration du sort de la paysannerie, mais aggravation du sort des pêcheurs: crise sardinière et morutière; l'extraction de l'ardoise est à son zénith. Le Midi est frappé par des inondations et la mévente du vin (émeutes de Béziers, Narbonne; mutinerie du 17e de ligne)
4) Un mauvais gouvernement français
- qui écrase fiscalement les commerçants, artisans, propiétaires fonciers et immobiliers
- qui emploie de plus en plus de fonctionnaires dont beaucoup sont des sangsues inutiles
- qui ne peut enrayer l'inflation
- qui persécute l'Eglise catholique
- qui persévère dans le jacobinisme au détriment du régionalisme et, a fortiori, du fédéralisme
Il s’agit d’un journal d’opinion dont les quatre pages hebdomadaires portent sur
- Le mouvement politique breton, au sens large du terme : activités des cercles celtiques, naissance et décès de « partis » régionalistes partisans de la création de provinces autonomes au sein d’une France fédérale, avatars de la langue bretonne (succès enregistrés et persécutions subies), romans en breton publiés en feuilleton.
- Les nouvelles piquantes ou douloureuses émaillant l’actualité des communes de Basse-Bretagne et surtout de celles du Poher et, majoritairement, de celles de Carhaix : vols, pillages, noyades, incendies, bagarres, jugements émanant des tribunaux de justice de paix, soûleries, accidents, comptes-rendus de courses de chevaux, de kermesses. Et une prédilection affirmée pour les faits politiques micro-régionaux.
- Les grands événements ou problèmes nationaux, rarement internationaux de l’heure : les grèves, les crises économiques, le progrès technique, l’affirmation du socialisme, du radicalisme, du syndicalisme, de la franç-maçonnerie… Ar Bobl n’analyse pas longuement la montée des périls extérieurs. Il est vrai que peu de journaux de l’époque le font…
- La nécessaire publicité en dernière page : avec seulement 600 abonnés, un tirage moyen de 4 000 exemplaires hebdomadaires, mais aussi quelques centaines d’invendus, et de fréquents procès de presse pour diffamation intentés par les adversaires carhaisiens du « Bop », l’équilibre financier est fragile au point que Jaffrennou doit faire appel aux dons de ses lecteurs en 1907.
EXPRESSION ECRITE, PRIX, SOURCES, CONCURRENTS, OPPOSANTS...
Les articles de fond comme les nouvelles brèves sont rédigées en très bon français (et non en "gallek saout", français parlé par les vaches ou leurs gardiens) ou en breton (du Poher).
L'hebdomadaire est vendu à un prix modique : « eur gwennek », un sou ou cinq centimes (un repas ouvrier coûte 40 centimes) à Carhaix comme en rase campagne par des commerçants divers dont la boutique porte une plaque métallique bleue sur laquelle le passant peut lire : « Ama ve gwerzet ar Bobl » (Ici, on vend « ar Bobl »). L'abonnement annuel est de 4 Francs (-or).
L’actualité politique, religieuse, scolaire, sociale du Poher étant foisonnante, éruptive, les rédacteurs d’ar Bobl ne sont pas en peine pour remplir les trois pages hebdomadaires, d’autant que le flot des lettres anonymes reçues ne se tarit jamais…
Les seuls concurrents du « Bop » sont les journaux catholiques (la Croix du dimanche, le Petit Courrier du Finistère, que les Républicains nomment «le petit menteur du Finistère ») ou républicain (l’Electeur des Côtes du Nord, le Bas-Breton). Les journaux parisiens sont très peu connus, quelques dizaines d’exemplaires des futurs grands quotidiens régionaux (Ouest-Eclair, la Dépêche de Brest) pénètrent faiblement une masse de 60 000 habitants, largement illettrés, voire analphabètes (Ar Bobl cite l’exemple de la commune de Spézet : sur les 42 conscrits de 1908, nés en 1888, donc astreints à l’assiduité scolaire entre 1894 et 1901, 20 sont complètement illettrés).
François Jaffrennou laisse peu de ses contemporains de l’Argoat occidental indifférent. Il est vrai qu’il est passé maître de prendre ennemis et amis à rebrousse-poil. La polémique lui est aussi nécessaire que l’air et l’eau. S’il ne s’est jamais présenté à une élection politique, il a souvent pris ostensiblement parti pour certains candidats, quitte à les vouer aux gémonies quelques années plus tard. Il lui est arrivé aussi de vilipender tel personnage, puis, quatre ans plus tard, de le porter aux nues… Jaffrennou n’est pas la seule girouette de son temps.
"En correctionnelle-
Le 14 avril après-midi, M. Louis Gourlet, administrateur d'Ar Bobl, se rendit aux guichets des Postes de Carhaix pour son service. M. Pélicot, dit Janvrais, homme de lettres, Officier de l'Instruction publique et secrétaire du comité local Mascuraud, qui se trouvait au bureau intérieur, irrégulièrement d'ailleurs, injuria M. Gourlet en lui disant: "Mouchard ! Vous nous mouchardez tous ! Sortez donc un peu avec moi dans la rue !". M. Gourlet dédaigna de répondre à ces basses invectives. Il chargea Me Gassis, avoué, de porter l'affaire devant le Tribunal de Châteaulin.
Dans son audience du 29 avril, le tribunal a condamné par défaut le publiciste Janvrais à 25 F de dommages et intérêts, 16 F d'amende et aux dépens"
Ar Bobl, n° 227, 1er mai 1909
Le Comité Mascuraud assemble des républicains anticléricaux hostiles à l'usage de la langue bretonne. La plupart sont des bourgeois petits: agent d'assurances, conducteur des Ponts-et-Chaussées, juge de paix, directeurs d'école publique, "chapeaux mous" de la gare de Carhaix, ou moyens: pharmacien. médecin. Ils sont presque tous politiquement radicaux.
Taldir se souvient des circonstances du lancement, de concert avec le libraire Le Goaziou, de sa feuille et des chausse-trappes dressées par toutes sortes d'adversaires..
" Une page d'histoire locale - Le lancer (sic) d'un journal à Carhaix.
Ce ne fut pas un mince événement lorsque le bruit se répandit dans la petite ville de Carhaix que deux jeunes hommes, l'un auteur, paraît-il, de volumes bretons que personne n'avait jamais lus à Carhaix, bien entendu, et l'autre, libraire à Morlaix et auquel on ne connaissait pas d'histoire, s'étaient associés pour "lever" une imprimerie à Carhaix.
Une imprimerie ? Cela ne disait rien à la masse. Carhaix n'était pas assez important pour avoir de ces "machins-là". Comme pour toute innovation, on croyait nécessaire d'en dire du mal [...] La question se compliqua singulièrement lorsqu'on apprit qu'on n'y ferait pas seulement des en-têtes de lettres, mais une "revue" mensuelle et un "journal" hebdomadaire. Un journal à Carhaix ? C'était le comble. Les commères donnèrent leur démission, n'y comprenant goutte et laissèrent jaser les politiciens avancés du cru.
Il y avait, en 1904, plus de politiciens à Carhaix qu'aujourd'hui. J'ajoute qu'ils se haïssaient mortellement. [...] Le parti du maire, feu M. Eugène Anthoine, était omnipotent. C'était le parti bon teint. Il fallut toute l'audace et la volonté de parvenir d'un jeune médecin local, M. Fernand Lancien, servi par une respectable fortune, pour oser livrer bataille à ce favori populaire. Il s'était présenté contre lui au Conseil Général et l'avait battu à dix voix grâce à l'appoint des paysans. Ce fut à Carhaix le signal d'une révolution. L'élément ouvrier assiégea le château de M. Lancien, on se battit dans la rue. La populace conspua l'Elu qu'elle devait d'ailleurs, quatre ans plus tard, porter sur le pavois municipal.
Nous tombions donc, mon associé et moi, dans un bon moment.
[...] Alexandre Le Goaziou se trouvait à Carhaix au mois d'août 1904 [...] Plein d'une fougue juvénile, il s'en donna à coeur joie pour M. Lancien. Avec une poignée de partisans du nouvel élu, ilo défendit le château, fut renversé, piétiné et fortement contusionné. II s'en suivit un procès qui eut lieu à Châteaulin [...] Voilà déjà l'un des imprimeurs porté à la célébrité locale:
"Puisqu'il s'est fait "tosser" pour Lancien, c'est un calotin", avait déclaré le Cercle Radical Socialiste, siège de la municipalité Anthoine [...] Le Goaziou était étiqueté, je devais subir le même sort. [...] Le deuxième personnage de la raison sociale Le Goaziou - Jaffrennou, c'était ce barde qui avait eu maille à partir avec le docteur Boyer, de Saint-Brieuc, le nec plus ultra du combisme en 1904, adulé à Carhaix où il venait pérorer à la Mairie. Jaffrennou était donc aussi un calotin qui venait à Carhaix renforcer le cléricalisme !!!
Quant au journal, les plus bienveillants lui donnaient trois mois de vie, surtout que le bruit transpirait qu'il serait en breton, du moins en partie.
[...] Ce bruit eut le don de vexer les politiciens bourgeois qui, chaque soir, de 5 à 7, à l'apéritif, se groupaient au "Cercle" sous la présidence de feu M. Lefranc [...] Le soir même de l'installation (de l'imprimerie), les sinistres "Hou ! Hou ! La Calotte !" qui retentirent dans la rue des Carmes, apprirent à notre candeur sans bornes que le Cercle nous déclarait la guerre.
Mais rien n'y fit. L'agresseur s'épuisa le premier. Au bout de quatre ans d'assauts, il mordit la poussière: le Cercle se désagrégea, son fameux Président Lefranc, devenu impopulaire, mourut subitement et ar Bobl resta debout en face de sa tâche"
JAFFRENNOU
Ar Bobl, 2 novembre 1912
(Aujourd'hui, on aurait intitulé cet article "le lancement" et non le "lancer").
Dans le texte ci-dessous, Taldir livre ses réflexions de journaliste régionaliste d'une petite ville bretonne politiquement radicale
"La situation de la presse dans une petite ville
Nombre de nos confrères, et la plupart de nos lecteurs, ne se font pas une idée de ce que peut être l'exercice compliqué et difficile du Journalisme dans une petite ville, ou mieux, dans une grosse bourgade de 3000 habitants.
[...] Le Journaliste, c'est l'homme dont on a une crainte vague, un être étrange qui vit dans les spéculations intellectuelles. Les petites gens, dans leurs petites maisons, n'ont pas assez de cancans à colporter sur son compte. Le Journaliste qui y a créé de toutes pièces sans rien demander à la petite ville, une oeuvre de Presse qui répand l'instruction dans les campagnes circonvoisines, commente ou rapporte les faits, enregistre la tradition par écrit, supporte aussi la peine de sa belle audace. Il est seul de son espèce, il est donc de trop.
Peu nombreux sont, dans la petite ville, ceux qui ont fait leurs Humanités; la bourgeoisie, en général, est hostile au journal lui-même, encore plus qu'à la personne de ses rédacteurs [..] Que d'articles, que d'explications, que de protestations avant que ayions pu obtenir une simple table de presse au Conseil municipal. Mais nous ne sommes pas encore arrivés à faire comprendre (y arriverons-nous ?) aux comités, sociétés, etc... qu'il est d'usage d'adresser aux Journalistes professionnels des invitations personnelles à assister aux cérémonies officielles, aux banquets, aux conférences, aux concerts, en un mot, des entrées de faveur. [...] Nous ne donnerons plus de programme ni de compte rendu si cette règle élémentaire de courtoisie n'est pas observée.
Je ne veux être désagréable pour personne, mais me permettra-t-on de dire qu'il est moins difficile d'ouvrir un factorerie au Congo que de créer un Journal dans un petit chef-lieu de canton, où les "autorités" n'ont pas assez de tracasseries, d'ennuis, de sarcasmes à l'adresse du Journal local, qu'elles devraient, au contraire, par fierté d'en posséder un, faciliter sa tâche dans l'intérêt même de la ville.
Il faut pour mener à bien une oeuvre de presse dans une petite ville, une forte dose de philosophie positive et la conscience qu'on propage le Progrès et qu'on défend un idéal élevé.
Il y a neuf ans un Carhaisien me disait: "Vous seriez mieux vu si vous aviez appelé votre journal l'Echo de Carhaix".
Mon cher ami, lui répondis-je, je ne suis pas uniquement l'écho de Carhaix. Ar Bobl s'est fondé ici parce que la ville est au centre de la Bretagne, pour être l'organe de tous les Régionalistes bretons et plus particulièrement des paysans bretons" ".
François Jaffrennou, ar Bobl, n° 436, 27 avril 1913
Taldir est sa feuille sont en butte aux vexations, moqueries publiées deux fois plutôt qu'une par les journaux républicains, comme le Bas-Breton, de Châteaulin, la Démocratie bretonne, de Quimper, la Charrue, de Pontivy
Il faut convenir que la tâche que s'est assignée Taldir n'est pas de tout repos. La Haute-Cornouaille n'est ni riche ni sage comme l'atteste un proverbe breton très caustique:
"Tri zra 'zo imposubl da Zoue: diveinañ Berrien, diradennañ Plouïe ha dic'hasta Poullaouen"
(Dieu est impuissant dans trois cas: épierrer Berrien, débarrasser Plouyé de ses fougères et "députainiser" Poullaouen)
Tribulations et avatars n'empêchent guère Taldir de sacrifier à l'habitude de souhaiter une bonne année à ses lecteurs...
Bloavez mad a zouhetan d'ach Ha kalz a re all "ganac'h'" Iec'hed ha "prespolité" Hag ar baradoz fin ho pue |
Je vous souhaite une bonne année ainsi qu'aux vôtres Bonne santé et prospérité Et le paradis à la fin de votre vie |
Ar Bobl 4 janvier 1913 | Traduction: Jean Yves MICHEL, janvier 2018 |
Une variante (Taldir encore)
Me souhet deoc'h, Aotrou Eur bloavez mad ha buez hir Iec'hed, chans ha prosperité Baradoz e fin ho pue
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Je vous souhaite, Monsieur, Une bonne année et une longue vie Santé, chance et prospérité Et le paradis à la fin de votre vie |
Enfin Taldir est conscient de la propension d'ar Bobl à choquer les cerveaux de ses lecteurs...
Goulen a ran iskuz digant ma lennerien mar 'c'han martreze dre ar pennad-skrid dilui ha digor-ma da chifa d'ezo eun tam bennag o sperejou ha da derri krak meur a zonjezon goz e oant boaz da vaga en o fenn, lod dre wir greden, lod all dre aoun pe dre lezigerez. | Je prie mes lecteurs de me pardonner si j'ai peut-être, à travers un article alerte, un peu chiffonné leurs esprits et détruit plus d'une pensée qu'ils ont l'habitude d'entretenir dans leurs têtes, les uns par pure croyance, les autres par crainte ou paresse. |
Ar Bobl, 4 mars 1905 | Traduction: Jean Yves MICHEL, mai 2018 |
Dernière modification le 12/01/2019