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3 ) "L'avenir, c'est partir" ????
Oui et non ! L'exemple carhaisien
En 1911, près d'un Carhaisien sur deux est né à Carhaix (46 %)
7 Carhaisiens ont vu le jour en Argentine, à Constantinople ou en Tunisie ou, plus près de nous, en Suisse
Une centaine est venue de France (Allier, Rouen, Le Havre, mais aussi, Paris, Courbevoie, Versailles). Un demi-millier est venu du Trégor morlaisien, du Léon , de Cornouaille, de Saint-Malo (!!), de Lorient, de Vannes, d'Auray.
Les Poher ont fourni le gros de immigrants carhaisiens: Poher finistérien (620 unités), Poher des Côtes-du-Nord (461)
Il resterait à découvrir - tâche herculéenne- combien de Carhaisiens nés à Carhaix sont établis hors de leur ville natale en 1911
b) Oui !
Bourbriac
Le tirage au sort des conscrits (les mauvais numéros font un long service militaire) de Bourbriac en 1904 donne une idée du point de chute de ceux qui ont quitté la commune et la terre ou l'atelier artisanal:
Sur 40 conscrits, un est allé à Lannion, un autre navigue, deux se sont établis en Normandie, et six dans le département de la Seine; trente sont restés à la terre.
A la veille de la Grande Guerre, le canton de Carhaix compte environ 20 000 habitants, celui de Châteauneuf-du-Faou, 24 000, celui du Huelgoat, 15 000.
L’analyse de l’évolution des paramètres démographiques entre les deux recensements de 1906 et 1911 aboutit aux conclusions suivantes :
Une forte vitalité : le taux de natalité moyen frôle les 40 pour mille dans le canton de Carhaix (le double de la moyenne nationale), 37,8 pour mille dans celui de Châteauneuf, et seulement 28 pour mille dans celui du Huelgoat, soit 35 pour mille pour les trois cantons. (33 pour le Finistère, 20 pour la France)
Une forte mortalité : 21 pour mille (taux identique à celui du Finistère ; France : 19 pour mille)
Un solde naturel étoffé, alimentant une croissance de la population qui atteint en 1911 son maximum démographique, et un flux migratoire inquiétant pour l’avenir. La différence entre les nombres de ceux qui viennent s’établir et de ceux qui fuient, au Canada, aux USA, au Havre, au Grand Quévilly (Seine inférieure), à Limoges (ouvriers d'équarrissage), à Trélazé (Maine-et-Loire), dans la région parisienne (métropolitain, usines à gaz), à Brest (arsenal et "Royale"), à Guingamp ou Quimper (armée), est négative (- 2345 en 5 ans). Un exode temporaire (la « saison ») entraîne aussi en Beauce, dans le Loiret, en Normandie, des ouvriers agricoles.
A partir de 1908, la moitié des quelques 6 000 habitants de Trélazé, la "ville noire" (de la couleur de l'ardoise au fond des puits d'extraction), est venue de Bretagne et surtout de l'Argoat bretonnant. L'agonie des mines d'argent d'Huelgoat-Locmaria-Poullaouen au cours du troisième quart du XIXe siècle précipite une fraction des prolétaires agricoles de l'intérieur vers les conserveries de poisson de la côte. Mais la raréfaction de la sardine (1907), la mécanisation de l'emboîtage atteignent directement ce prolétariat maintenant industriel pour qui les ardoisières de Trélazé constituent un second point de chute. S'ajoute à ce courant un flux d'ouvriers ardoisiers de Motreff-Plévin, recrutés par des bretonnants parlant français pour le compte de patrons d'ardoisières trézaléennes qui paient des salaires plus élevés que leurs homologues du Poher...
D'après Nathalie Hugues et Catherine Fauchet, "la ville noire: terre de migration bretonne: Trélazé, 1850 - 1914" in "Annales de Bretagne et des Pays de l'Ouest", 1997, volume 104, pp 201 -211
Quelques chefs-lieux de canton (Callac, Huelgoat, Châteauneuf) retiennent à leur profit une partie des "émigrants" venus des communes rurales. Une ceinture rouge discontinue prend en écharpe les communes à forte émigration, situées sur la Montagne noire ou le granit du massif de Saint-Servais-Duault...
L’Eglise catholique déplore l’émigration qu’elle qualifie de « désertion ». L’Evêque de Quimper, dans sa Lettre aux prêtres de son diocèse, datée du 23 octobre 1909, regrette que de « bons habitants de notre diocèse […] abandonnent imprudemment leur pays d’origine. La plupart y perdent leurs habitudes chrétiennes et ne peuvent même pas se vanter d’avoir en retour conquis l’aisance que ne leur donnait plus la Bretagne. Ils sont devenus plus pauvres en même temps que moins croyants. Ils courent […] au péché mortel. Souvent ils tombent au dernier degré du vice. Les jeunes filles qui nous quittent en si grand nombre pour servir à Paris ne sont à l’abri de ce malheur […] ».
(Archives de l’Evêché de Quimper, Lettres circulaires et mandements de Mgr Duparc)
"On demande des ouvriers !
Depuis quelques temps, nous voyons, affichés sur les murs de nos petites villes, des placards alléchants conçus ainsi: "On demande des ouvriers terrassiers ou des ouvriers agricoles; traitement élevé, pas de chômage, frais de déplacment réglés, etc... Travail assuré toute l'année. S'adresser à X..., Normandie ou Beauce". A peine nos braves travailleurs locaux ont-ils jeté les yeux sur ces placards qu'ils disent adieu à leurs patrons, laissant la besogne en plan et, par bandes de dix ou douze, le baluchon sur l'épaule, ils prennent le train pour Troulaville ou Chaussigny-les-Bas. Eh bien notre devoir est de mettre en garde nos ouvriers et manoeuvres bas-bretons contre les exploiteurs qui, par des promesses jamais tenues, essayent de les attacher là-bas. Il n'y a qu'en Bretagne qu'on trouve des des ouvriers aussi naïfs. Ne croyez pas que j'exagère. Voici la lettre que de vieux parents de Carhaix viennent de recevoir de leur fils qui, lui aussi, s'en est allé là-bas avec un groupe de compagnons. "....Ville, le 29 juillet 1907 Mon cher père Je vous dis que je sui bien content d'aller à la maison ca je me plai mieu à Carhaix que je fait ici, ca la paie n'est pas grand et on est obliger de payer la pension et la travail est plus dur ici qu'il était à Carhaix. Dis à N... que je retournerai à Carhais le plutot possible ca il ny a plus des Bretons ici [..] Je croyais que j'allais au paradis quand j'était dans le train à venirici et c'était le contraire" Je transcris textuellement et n'invente rien [...] Ecoutez le Carhaisien: petite paye, pension chère, dur travail. Qu'on vienne encore, après cela, nous raconter qu'on est malheureux au pays breton ! F. JAFFRENNOU |
Ar Bobl, 3 août 1907 |
Le maire de Paule (Côtes-du-Nord) ne partage pas tout à fait l'analyse de Taldir:
"La désertion des campagnes
M. Jean Pierre Kervern, agriculteur et maire de Paule, nous a dit: "Je vous citerai un exemple qui vous montrera que la campagne perd ses "bons corps" (ar c'horvou mad). La classe 1910 des communes de Plévin et Paule comprenait en tout 42 jeunes soldats. Combien, sur ces 42 solides gars, sont-ils revenus à la charrue ? TROIS, pas un de plus ! - C'est désastreux. Et où sont allés les autres ? - Leur service militaire fini, ils ont fait une petite visiste au pays, puis ils sont repartis vers les grands centres, les usines, les grandes exploitations agricoles. Il ne nous reste à la campagne, comme domestiques, que les vieillards, les tout jeunes gens, les malingres, les boiteux, les cagneux ainsi que les illettrés qui sont obligés de rester là. - A quoi attribuez-vous cet exode formidable de la dosmesticité rurale ? - Au manque d'hygiène, au manque de confort de nos fermes, bien plus qu'aux salaires, qui sont assez élevés. Nos fermes, presque toutes vieilles, ne forment qu'un seul corps de bâtiment où nous vivons tous pêle-mêle, hommes et femmes. Le domestique qui a voyagé désire un petit endroit à part, un lit convenable, une chambre pour ne pas coucher à l'étable, sans feu ni chandelle. Ce sont les causes qui nous enlèvent ceux qui ont vu d'autres pays" |
Ar Bobl, 28 février 1914 |
Au cours des années 1906-1911, le solde migratoire l'emporte sur le croît de la population, qui est en nette décélération; la situation démographique redevient mauvaise, comme elle l'était entre 1891 et 1900
Mgr Duparc, Evêque de Quimper et de Léon, préconise, pour freiner et peut-être endiguer l'émigration des Bretons, d'attacher sentimentalement les ouvriers et domestiques agricoles à la terre nourricière:
"Il émet le voeu de voir se multiplier les penn-ti de manière à donner aux journaliers le moyen de vivre économiquement en famille près des propriétés où on les emploie [...] Il s'agit de faire naître des relations affectueuses entre famille du maître et familles de l'ouvrier"
Semaine religieuse de Quimper et du Léon, n° 46, 12 novembre 1909, archives de l'Evêché
Et l'émigration vers l'Amérique, septentrionale ou méridionale, aggrave la déperdition de substance humaine:
Gourin
" Les recherches faites par la gendarmerie de Gourin pour retrouver trois insoumis de la classe de 1903, ont donné les résultats suivants: 1°) Louis Marie Daniel, domicilié à Gourin, résiderait actuellement à Washington Place 124, à New York (Etats-Unis); 2°) René Maurice Cadic, domicilié aussi à Gourin, aurait quitté le pays depuis huit ans, d'après sa belle-soeur, Marie Anne Le Lidec, 24 ans, femme Cadic, et résiderait rue Box Sayreville 138 à New Jersey (Amérique du Nord); 3°) enfin Jean Joseph Le Grand, domicilé de la même commune, insoumis depuis le 1er juin 1905 seulement, serait parti depuis seize ans avec sa famille pour Rosario Talo, province d'Ontario, dans la République argentine" |
L'Avenir du Morbihan, 28 juin 1905 |
Le Saint
"La gendarmerie recherche le dénommé Jean Louis Kergaravat, classe de 1903, domicilié au Saint. Son oncle, Jean Kergaravat, instituteur à Gourin, a déclaré à la gendarmerie que son neveu, insoumis du 1er décembre 1904, a quitté son pays en 1889 avec sa famille, se rendant à Buenos-Ayres (République argentine) et qu'il n'a jamais reparu depuis au pays" |
Le Républicain de Pontivy, 2 juillet 1905 |
L'Evêché du Morbihan met en garde les candidats de Roudouallec à l'émigration au Canada
"Il existe en ce moment un mouvement sérieux d'émigration vers le Canada, ancienne colonie française où deux millions d'habitants parlent notre langue et où le Gouvernement de ce pays offre gratuitement 64 hectares de terre fertile ainsi que des emplois rémunérateurs aux colons agricoles. Afin d'éviter toute déconvenue, demander avant d'émigrer des brochures et des renseignements officiels au Commissariat Général du Canada, 10, rue de Rome , Paris" |
Croix du Morbihan, 26 février 1905
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UN DERNIER MOT à l'Echo du Morbihan qui dans son numéro du 23 février 1913, signale la réincarnation de Marion du Faouët..
"Le Faouët - On juge actuellement à Paris les fameux bandits en auto dont les chefs étaient Bonnot et Garnier. Dans cette sinistre bande, on remarque trois femmes dont une Bretonne: Barbe Le Clec'h, née au Faouët et âgée de 21 ans. Après avoir été domestique jusqu'à 16 ans dans son pays natal, elle vint à Paris en 1910 pour gagner beaucoup d'argent. Elle coopéra aux exploits de la bande tragique. C'est pour cela qu'elle comparaît aux assises de la Seine. Quelques années de prison lui feront peut-être regretter d'avoir quitté son pays.
Très encourageant pour les parents qui laissent leurs filles aller à Paris" |
Echo du Morbihan, 23 février 1913 |
Dernière modification le 14/02/2019