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2) La vie...
a) Familles nombreuses
Plouguer – Nécrologie « Funérailles de J. Cougard, 66 ans. Il faisait partie de la famille des Cougard, la plus nombreuse du canton. En effet, deux ancêtres de cette famille, le père et l’oncle du défunt, ont eu, l’un 17 enfants, l’autre 19. Quatre des enfants de cette nombreuse famille eurent à leur tour 10 enfants. M. Jean Cougard était l’un de ces vénérables pères de famille. Ses fils : Jean, négociant en grains à Carhaix ; Pierre, commerçant à Gourin, Yves, médecin » |
Ar Bobl, n° 371, 3 février 1912 |
b) Repeupler ?
L'âge ne fait-il rien à l'affaire...????
"Plouyé - Cas exceptionnel On nous écrit: "Le père L... de Penanvoas en Plouyé est un solide gâs. A 79 ans (soixante-dix-neuf), il vient d'être l'heureux père d'un gros poupon qui a été baptisé il y a une quinzaine de jours. La mère a 40 ans environ. On ne compte plus les tournées payées par le père L... dans toutes les auberges de la commune" |
Ar Bobl, n ° 290, 16 juillet 1910 |
"Kergrist-Moëlou - Mariage d'ancêtres Il a été procédé la semaine dernière à un mariage; les mariés avaient 131 ans à eux deux. On pourra dire: "Ils vécurent heureux", mais on ne pourra pas dire "et ils eurent beaucoup d'enfants" |
Ar Bobl, n° 228, 8 mai 1909 |
« Projet de loi pour encourager la repopulation déposé par Dubuisson « Une pension de 2,5 F par mois sera servie à 60 ans aux mères ayant eu plus de deux enfants; cette pension sera financée par tous les Français sans enfants, qui seront taxés à hauteur de 5 F » » |
Ar Bobl, n° 406, 28 septembre 1912 |
Dubuisson (1842-1914) est le député de la circonscription de Carhaix (1898-1914). La Centre-Bretagne est nataliste, l’émigration vers Paris, la Basse-Seine, les Amériques, forte. En revanche, la majeure partie des provinces et, singulièrement les grandes villes françaises, sont malthusiennes (contrôle des naissances par la coitus interruptus ou l’emploi des « herbes » ; de ce fait, l’enfant unique est extrêmement répandu en ville).
La natalité annuelle moyenne française est de 21,6 naissances pour mille habitants entre 1901 et 1905, de 20,2 entre 1906 et 1910. Voici celles de sept communes du Poher
Communes | 1901-1905 | 1906-1910 |
Carhaix-Plouguer | 25,3 | 28 |
Cléden-Poher | 44,8 | 44,2 |
Motreff | 41,3 | 44,4 |
Spézet | 41,6 | 39,3 |
Collorec | 42,5 | 45,1 |
La Feuillée | 21,9 | 20,1 |
Scrignac | 28,5 | 26,7 |
On constate une corrélation entre attitude religieuse et natalité. Les deux communes les plus églisières sont les plus prolifiques.
Le contraire vaut pour les communes de l’Arrée, qui conjuguent
1) une émigration de maints couples jeunes, en raison de la relative inefficacité d’une agriculture handicapée par des sols pentus et acides, un vent froid fréquent 2) une sourde résistance au « croissez et multipliez « prêché par le prêtre.
Et pourtant....
Le curé de Plouyé déplore la « licence » : « Les festou-noz sont loin d’être inoffensifs. La preuve en est que sur 12 unions contractées cette année, 8 ou 9 ont donné des fruits deux à trois mois après le mariage à l’église. Il paraît que les fiancés sont autorisés par les parents à s’entretenir en particulier jusqu’à quatre ou cinq heures du matin […] 77 baptêmes dans l’année, mais 93 déclarations à la mairie »
A Carhaix, ville de gauche depuis belle lurette, petite bourgeoisie (rentiers, commerçants, « Messieurs à chapeau » du Réseau breton), employés de commerce et d’écriture, aristocratie ouvrière (les mécaniciens de chemin de fer, les contremaîtres des ateliers du Réseau breton) tiennent à ce que chacun de leurs deux enfants fasse des études, qui ne sont pas gratuites.
« Sous le Bloc, la mort l’emporte. En 1907, les décès en France dépassent les naissances de près de 20 000. Les causes ? Les lois morales ont de moins en moins de poids. Ces résultats ne peuvent être attribués qu’à l’abandon des doctrines chrétiennes, à la pénétration dans nos populations des idées dites d’émancipation, propagées par toutes les associations bleues et rouges à la solde de la juiverie maçonnique » |
Jean Solu , Ar Bobl, n° 184, 4 juillet 1908 |
Le « Bloc » est le Bloc des gauches (socialistes, radicaux-socialistes, radicaux, républicains de gauche) qui, de 1898 à 1910, constitue la majorité soutenant, à la Chambre des députés, des gouvernements, dont les plus connus sont ceux de Waldeck-Rousseau, Combes, Clémenceau, Briand.
Le carhaisien Jean Solu, catholique pratiquant, est un « homme toutes mains » : chantre d’église, coiffeur, publiciste, tonnelier, grossiste en vins, dépositaire de journaux. Homme de droite, membre de l’Action libérale populaire, républicain par résignation, « royaliste de regret », Solu n’est pas éloigné d’épouser la théorie des quatre Etats de Charles Maurras : quatre sortes de nuisibles, les juifs, les protestants, les métèques et les francs-maçons, rongent la France et l’entraînent à sa perte..
« Les associations bleues et rouges » tirent leurs couleurs respectives de celles de Paris qui, en 1789, encadrent, au sein de la cocarde tricolore, le blanc de la monarchie. Parmi les « bleues », la franc-maçonnerie, le protestantisme, la Ligue des droits de l’homme, le « Comité Mascuraud » (Comité républicain du commerce, de l’industrie et de l'agriculture).
Parmi les « rouges » : la CGT, les coopératives ouvrières, les Bourses du travail (marché local de l’emploi)…Solu fustige ici la déchristianisation, œuvre du complot juif. La conclusion de l’Affaire Dreyfus est trop récente (1906 : réhabilitation) pour que la blessure infligée aux antisémites ne suppure pas...
Cependant, même si, au premier semestre 1911, les décès l'emportent sur les naissances de 21 189 unités, de 1911 à 1913, la mortalité s'abaisse jusqu'à être inférieure à la natalité. L'espérance-vie, les deux sexes confondus, est, à la veille de la Grande Guerre, de 43,5 ans, contre 50 ans en Suède,, 45 en Angleterre, 32 en Espagne..
Un lien de causalité lie forte natalité et faible niveau de vie
"Bretagne et France. La moyenne des salaires des ouvriers agricoles bretons nourris est de 1,10 F par jour (1) pour les hommes et de 0,65 F pour les femmes. Pour les ouvriers non nourris: 2 F pour les hommes et 1,25 pour les femmes. Dans le Morbihan, les maîtres valets ont 182 F par an; 210 dans les Côtes-du-Nord et 214 dans le Finistère. Ces salaires sont évidemment des plus faibles et cependant 332 Bretons en moyenne élèvent 23 enfants, pendant que 3387 Français en élèvent 34; ou encore 32 Bretons élèvent 2 enfants pendant que 338 Français en élèvent 3"
Ar Bobl, 4 février 1905
Dans la Brie, les ouvriers agricoles touchent 3 F par jour. La CGT réclame 5 F
c) Guérir
Une guérisseuse carhaisienne âgée de 78 ans, poursuivie en justice par un vétérinaire, en 1910
La vieille Guérisseuse. Il existe actuellement à Carhaix une bonne femme de 78 ans, célèbre dans toute la Bretagne auprès de désespérés de certaines les maladies. Plusieurs fois poursuivie et aussi condamnée pour exercice illégal de la médecine, les condamnations à l'amende n'ont fait qu'augmenter le renom de la vieille. Contrairement à l'idée qu'on se faisait habituellement des Guérisseuses ou Rebouteuses, notre vieille femme sous sa grande coiffe de Trécorroise a une figure hiératique très douce qu'on dirait détachée d'un vitrail d'église bretonne. Avenante à tous, elle aime à conter longuement les histoires d'autrefois, à chanter les vieilles sônes plaintives. Auusi les malades s'obstinent-ils à venir la trouver de vingt lieues à la ronde, au plus grand dommage des disciples légaux d'Hippocrate et de Gallien. Ces temps derniers, notre Guérisseuse a été l'objet de quelques nouvelles petites tracasseries. Un agent de la Sûreté, déguisé en client, s'est présenté chez elle pour demander une consultation qui lui fut donnée en breton et qu'il se fit traduire. Mais l'agent ne réussit pas à faire dire son prix à la Guérisseuse qui, de fait, n'exige pas de tarif. Un autre jour, ce sont des gendarmes qui, postés non loin de sa porte, avaient mission de surveiller les allées et venues des malades et de les tancer vertement. Bref, de fil en aiguille, on a, pour la 4e ou 5e fois, appelé la bonne vieille à Châteaulin jeudi. Le feu aurait été mis aux poudres pour une histoire de vache. Un fermier serait venu voir la bonne femme pour sa vache, qu'un homme de l'art avait, paraît-il, déclarée incurable. O miracle, une potion administrée à point sur le conseil da la vieille, guérit la vache. C'était intolérable, assurément. "Bah, nous disait un jour, la vieille Guérisseuse, I'a na ran nemed vad, petra refoint d'eun goz eveldon ?" |
Ar Bobl, n° 270, 9 avril 1910 |
Traduction de la dernière phrase: "Je ne fais que du bien, que pourraient-ils faire à une vieille comme moi ?
Encart paru dans "le Journal de Pontivy et de son arrondissement", du 26 janvier 1908
d) Natalité et mortalité…
Les sept cantons étudiés ici (Carhaix, Huelgoat, Châteauneuf, Gourin, Callac, Maël-Carhaix, Rostrenen) se caractérisent par une natalité remarquablement stable et une mortalité certes irrégulière d’une année à l’autre, mais sans variation vraiment exceptionnelle.
On a volontairement indiqué le niveau des pertes militaires de la seule année 1914 ainsi que les enfants dont les pères seront tués (pupilles de la nation).
Le bilan naturel est largement positif, et même si le bilan migratoire est négatif, la population croît numériquement.
Malgré une amorce timide de mécanisation, l’agriculture nécessite beaucoup de bras ; les communes rurales, foncièrement agricoles, remplissent bien davantage les berceaux que les tombeaux.
"Poullaouen - Pour la première fois, une sage-femme vient de s'installer au bourg".
Ar Bobl, n° 193, 5 septembre 1908
e) Une amorce timide de sécurité sociale:
"Carhaix - La Maternelle est fondée pour venir en aide aux mères de famille en couches. Présidente d'honneur: Mme F. Lancien; Présidente: Mme Gillet; Inspectrices: Mmes de Jaegher, Le Janne"
Ar Bobl, n° 268, 12 février 1910
Mme Lancien, fille d'un ancien député-maire de Guingamp, est l'épouse du maire et Conseiller général de Carhaix. Mme Gillet est la directrice de l'école primaire laïque de filles. Mme de Jaegher est l'épouse d'un médecin protestant, conseiller municipal radical-socialiste. Mme Le Janne est l'épouse d'un pharmacien, mal noté par le Sous-Préfet de Châteaulin: "Le Janne, pharmacien, a des enfants à l'école des Ursulines; réactionnaire, peu ami de l'école laïque" (Lettre au Préfet du Finistère, archives départementales du Finistère, 1908, 1 T 18)
Les dames patronesses laïques ont leur bonnes oeuvres, tour comme celles qu'elles concurrencent, les dames catholiques, qui ont bon bec....
"Carhaix - La Mutualité maternelle
Du 1er ami au 31 décembre 1910 ont été versées 18 indemnités de 15 F par naissance soit 270 F; 15 primes pour l'allaitement maternel soit 610 F. Des soupes ont été fournies au Fourneau économique pour 1223 F"
Ar Bobl, n° 327, 1er avril 1911
15 Francs représentent le salaire de cinq jours de travail d'un ouvrier qualifié
Dernière modification le 11/02/2019