a) UNE ELECTION « NORMALE » : 1906
"Normale" parce que chacun est dans son rôle et à sa place. Ar Bobl soutient de Kercadio, libéral, catholique et noble, bien qu'il soit complètement inconnu dans la circonscription. Dubuisson, député sortant, mord donc sur l'électorat républicain et catholique et conserve la faveur des électeurs laïques qui mettent en doute l'efficacité et donc l'utilité et, partant, l'urgence de bâtir une société socialiste. Les rouges, qui, par conviction ou intérêt, ont tout à gagner à un bouleversement (réduction de la durée du travail, retraites, augmentation des salaires), ont en Nicol un candidat naturel..
La désignation du candidat "blocard" :
Carhaix - « Réunion électorale – M. Dubuisson a payé dimanche un banquet à ses fidèles des trois cantons, soit 79 convives sur 100 invités. A l’issue de ces agapes, on procéda au choix du candidat blocard : le père la Pipe, qui payait la note, obtint 68 voix, M. Nicol, 9, et M. Fégean, maire d’Huelgoat, 2. En conséquence, M. Dubuisson a été proclamé l’élu du Congrès dit républicain »
Ar Bobl, n° 82, 14 avril 1906
Le parti radical et radical-socialiste existe depuis 1901. Pour autant, il compte en Haute-Cornouaille peu d'adhérents. En revanche, ses sympathisants actifs (sorte de "grands électeurs" chargés, chacun dans son cercle géographique, de convaincre les électeurs de "bien" voter) sont plus nombreux. Leur seconde tâche est de désigner le candidat du "parti", lors d'un repas-congrès, où les rôles sont distribués à l'avance. A l'hôtel de France, à Carhaix, se tient donc un grand banquet électoral récompensant le dévouement passé et futur des invités, qui entendent, d'une oreille complaisante, force discours et promesses. Vingt-et-un invités n'ont pu ou voulu se déplacer.
Ar Bobl laisse entendre que Dubuisson, le "Père la pipe", qui espère être adoubé de façon à pouvoir se présenter à la députation pour la troisième fois, a corrompu la majorité des militants. Onze d'entre eux n'ont pourtant pas vendu leur voix pour un plat de lentilles...
Dès son élection, en 1902, Dubuisson prépare l'échéance électorale de 1906. En effet, il donne des gages à son camp, c'est-à-dire des récompenses, des prébendes, des sinécures. Une lettre de ce député au Préfet du Finistère est, à cet égard, édifianre:
"Monsieur le Préfet,
M. Carré, secrétaire de la mairie de Poullaouen que vous connaissez et qui est le plus ferme républicain de la commune, était adjudicataire du transport des dépêches de la gare au bureau de postes de cette commune.
Il va être procédé prochainement à une nouvelle adjudication et, dans un but politique, on lui suscite des concurrents. Pour ceux qui sont républicains, il n'y a rien à dire, mais il y aussi des réactionnaires et il conviendrait de les écarter.
Ce sont d'abord un nommé Desbordes, tout dévoué au parti réactionnaire, qui a au petit séminaire de Pont-Croix un fils dont la pension est payée par les curés, puis un nommé Meinnel, ancien garde de M. Dyèvre auquel il est tout dévoué.
M. Dyèvre doit au mois de mai prochain former une liste réactionnaire pour combattre la liste républicaine pour les élections municipales.
Vous comprenez quel effet désastreux produirait le succés d'un réactionnaire pour l'entreprise du transport des dépêches.
Recevez, Monsieur le Préfet, l'assurance de ma haute considération
Dubuisson"
Lettre au Préfet du Finistère, 20 septembre 1903, archives départementales du Finistère, 3 M 676
Les campagnes électorales
Tract distribué dans les communes de l'arrondissement de Châteaulin
"Catholiques bretons
La persécution continue, elle s'aggrave
Celui qui a renié son Dieu et sa foi veut vous faire renier votre Dieu et votre foi
La franc-maçonnerie a parlé;
Combes obéit, il va même au-devant de ses ordres
Hier...
Il chassait vos bonnes soeurs; il interdisait le breton dans vos églises; il fermait vos écoles; il vous arrachait l'âme de vos enfants.
Aujourd'hui...
Il poursuit vos religieux; il frappe vos évêques et vos prêtres; il veut fermer vos chapelles, vos sanctuaires les plus vénérés; il veut détruire vos traditions séculaires. Il veut les arracher de votre coeur pour les fouler aux pieds.
Demain...Il fermera vos églises; il interdira vos fêtes.
Liberté d'enseignement violée, liberté du travail violéee, liberté de la presse violée
Une seule vous restait encore, la liberté de prier. On veut vous l'enlever.
On veut interdire vos pèlerinages, vos fêtes bretonnes, vos pardons.
En un mot, on veut supprimer Dieu. Le permettrez-vous ?
[...] Allons, réveillons-nous, Catholiques bretons. Organisez-vous, agissez, fondez partout des comités.
Tous vos prêtres, tous les honnêtes gens, tous les vrais libéraux, tous ceux, en un mot, qui ne sont pas sectaires, seront avec vous, protesteront avec vous, vous soutiendront [...]"
1906, archives départementales du Finistère, 1 M 228
La droite catholique reprend le terme "honnêtes gens", qui se révéla efficace en juin 1848, puis en février 1871. Il désigne les gens raisonnables et propriétaires de quelque bien, ne serait-ce qu'une vache, un pré, par opposition aux "partageux" qui, ne possédant rien ou ayant perdu ce qu'ils possédaient, conçoivent le "partage" comme la confiscation à leur profit de tout ou partie des biens des possédants.... Cette droite donne aussi dans le manichéïsme: aux sectaires (les persécuteurs) font pendant les libéraux (les victimes innocentes)...
Ar Bobl publie une philippique du carhaisien Jean Solu
« Aimez-vous le drapeau rouge et la Carmagnole hurlée dans nos rues ?
Aimez-vous les grèves révolutionnaires ?
Aimez-vous la guerre religieuse, les vexations aux catholiques, les prêtres traqués ?
Si oui, alors votez pour les socialistes et les complaisants qui les maintiennent au pouvoir ! - Jean Solu»
Ar Bobl, n° 81, 7 avril 1906
En ces quelques interrogations tient, en bonne part, l'arsenal idéologique de la droite d'alors ...Elle essaie de jouer de la peur de la grève politique (auto-gestionnaire chère aux anarchistes), préludant au"grand soir" (renversement de la démocratie parlementaire et mise en place d'une dictature exercée par le prolétariat ou ses représentants) , débouchant sur une économie collectivisée et l'égalité des revenus. Tout ceci, au son de la Carmagnole, qui ravive le souvenir de 1793-1794 et de l'Internationale, qui fait invinciblement penser à l'"insurrection communarde" de mars-mai 1871... En bref, les socialistes sont liberticides ("Terreur", élimination des "ennemis du peuple", rétablissement du délit d'opinion, etc...) et attentent à la propriété privée...
Solu rappelle aussi aux électeurs les "persécutions" dont furent récemment victimes prêtres, religieuses, Frères des Ecoles chrétiennes... C'est là l'oeuvre infernale des radicaux....
Socialistes et radicaux ont conclu un pacte démoniaque. Mais ce sont plutôt les premiers nommés qui permettent aux seconds d'exercer le pouvoir de décision....et non l'inverse comme tente de le faire croire Solu..
« Je suis et ai toujours été un républicain de gauche, un républicain de droite ne pouvant être pour moi un vrai républicain.
Je considère les collectivistes, les antimilitaristes et les anarchistes comme faisant à la République autant sinon plus de tort que les réactionnaires.. »
Louis Dubuisson, député radical sortant, lettre à Fégean, maire et conseiller général radical socialiste d’Huelgoat
Ar Bobl, n° 87, 19 mai 1906
Fégean accuse Dubuisson de pratiquer le "sinistrisme", c'est-à-dire d'être un homme de droite camouflé, de n'être un homme de gauche qu'en paroles. Dubuisson rétorque qu'il fait partie de l'immense cohorte des "raisonnables", des partisans du "possible". Il repousse l'extrémisme de gauche (économie collectivisée, armée de métier remplacée par des milices populaires sur le modèle suisse, démocratie directe par la voie référendaire). Mais il rejette aussi le conservatisme: la religion n'est plus affaire d'Etat; à écoles privées, fonds privés. Dubuisson entend siéger au centre gauche.
Scrignac - M. le député Dubuisson est actuellement fort occupé de ses électeurs. Il parcourt sa circonscrition (sic) pérorant de ci, de là. Dimanche, c’était à Scrignac. Dans une petite réunion intime il a expliqué aux Skrignegiz venus l’écouter, son programme à venir. Peu de conseillers municipaux assistaient à la réunion.
M. Dubuisson s’est étendu sur la question de la Séparation, qu’il a votée, dit-il, « parce que cà devait entraîner une guerre avec l’Allemagne ».
Il a promis de faire faire une voie ferrée de Guerlesquin à la Feuillée par Huelgoat. Il a promis également de faire aboutir sans tarder le projet de chemin du bourg de Scrignac à Lemek en Poullaouen. Enfin, il a terminé sa paternelle allocution en demandant à ses auditeurs de vouloir bien le laisser encore quatre années à Paris.
M. Dubuisson a causé en français à Scrignac. Il y a quatre ans, il avait pris la parole en breton : ce fut pitoyable, dit-on.
Notre nouveau confrère l’Egalitaire, journal brestois, se demande quel sera l’adversaire de M. Dubuisson, blanc ou rouge. Il supplie les maires radicaux Anthoine (Carhaix) et Fégean (Huelgoat), de lui découvrir un adversaire. Nous aussi, nous nous posons la même question.
Jusqu’à présent, comme dit Sœur Anne, rien ne point à l’horizon. L’honorable et vénérable père Dubuisson gardera son siège, il n’entend pas prendre sa retraite »
Ar Bobl, n° 66, 23 décembre 1905
Dubuisson ne semble pas susciter l'enthousiasme des Scrignaciens qui pencheront pour le candidat "rad-soc" Nicol. Ar Bobl prend Dubuisson en flagrant délit de mensonge: Dubuisson n'a pas voté la loi de Séparation; d'illogisme: quel rapport entre la Séparation des Eglises françaises et l'Etat républicain d'une part, et l'Allemagne impériale d'autre part ?; d'ignorance de la langue bretonne. Ar Bobl laisse aussi entendre que les petits chemins de fer départementaux à voie étroite (Rosporden-Châteauneuf-la Feuillée-Plouescat) sont "budgétivores"...
« Pourquoi le Chemin de Fer La Feuillée-Huelgoat n’a-t-il pas été fait ?
A la récente session du Conseil général du Finistère, il fut question de mettre à l’étude une ligne ferrée reliant la Feuillée à la gare de Huelgoat-Locmaria. Cette petite ligne (15 kilom.) eût rendu les plus grands services à un pays qui est absolument dépourvu de tous moyens de communication. M. Dubuisson, chargé de faire le rapport sur l’opportunité de cette ligne, présenta des conclusions défavorables au projet, et l’on peut considérer aujourd’hui que la ligne La Feuillée-Huelgoat est abandonnée.
D’où la juste colère de M. Fégean, maire d’Huelgoat, qui a déclaré qu’il en avait assez de M. Dubuisson »
Ar Bobl, n° 83, 21 avril 1906
« Les avatars de M. Dubuisson – A rejeté le projet de chemin de fer Huelgoat – la Feuillée. Mais a placé des éclusiers sur son canal. A causé deux fois à la Chambre, une fois pour qu’on redore la coupole du Panthéon, une autre fois pour demander qu’on assure les théâtres municipaux contre l’incendie. C’est çà qui va faire une belle jambe aux braves pillaouers de Botmeur !
Le 12 juillet 1902, il a voté contre les écoles congréganistes ; résultat : fermeture de l’école chrétienne de Châteauneuf-du-Faou, qui ne coûtait pas un sou ; le 23 novembre 1904, il a voté contre la retraite à soixante ans. En 1905, lors du vote article par article du projet de loi de Séparation, il a voté 89 fois pour, 40 fois contre et s’est abstenu 10 fois ; enfin, il a voté contre »
Ar Bobl, n° 83, 21 avril 1906
Dubuisson se positionne à droite lorsqu'il rejette la Loi de Séparation: le clergé catholique ne peut que lui en être reconnaissant; lorsqu'il refuse l'abaissement de l'äge de la retraite; lorsqu'il refuse la très coûteuse construction d'une ligne de chemin de fer d'intérêt local. Il se positionne à gauche lorsque il favorise l'école laïque aux dépens des écoles "privées"; lorsqu'il a procuré des places à des électeurs fidèles sur le canal de Nantes à Brest.
Le vote de Dubuisson en juillet 1905 en faveur du maintien du Concordat de 1801 semble, à maints électeurs de gauche, incompréhensible, incongru. Le Père la Pipe s'en explique, en privé bien sûr, ainsi: les articles organiques que le Premier Consul de la Première République a imposés à une papauté récalcitrante permettent de tenir le clergé en lisière. En effet, c'est l'Etat français qui désigne tel prêtre, et non tel autre, antirépublicain, pour tel siège épiscopal. C'est l'Etat français qui, puisqu'il rétribue les ministres du culte et peut donc suspendre cette rétribution, est en mesure de peser sur le contenu des sermons...
Aux yeux de Dubuisson, les gauches françaises, en se privant d'un moyen de contraindre une Eglise catholique anti-républicaine à une certaine réserve dans le domaine politique, se sont fourvoyées...
Ar Bobl tente, par ces articles, d'amoindrir numériquement l'électorat de Dubuisson. Son premier faux-pas (son opposition à la construction de la ligne de chemin de fer de l'Arrée) doit lui aliéner des électeurs de gauche et "montagnards". Le second mécompte (la fermeture de l'école privée de Châteauneuf-du-Faou) doit détourner un partie de l'électorat châteauneuvien du "Père la pipe" vers le candidat libéral.. Taldir malaxe la pâte électorale. C'est là un de ses jeux préférés..
Profession de foi de Nicol, candidat rad-soc:
"Breton bretonnant, j'étais il y a moins d'un an encore Inspecteur primaire à Châteaulin, où j'avais l'honneur d'être Président de la Société de tir, Président de sociétés de tempérance, Président de la Société d'éducation populaire, Vice-Président de la Mutualité scolaire, Vice-Président de la Caisse des écoles et Président de la Ligue des Droits de l'Homme et du Citoyen. Je me présente à vous comme républicain de gauche. Profondément respectueux de toutes les convictions religieuses, j'approuve cependant la loi sage et libérale sur la Séparation des Eglises et de l'Etat qui met à la disposition des fidèles les églises et les objets mobiliers qui les garnissent.
Electeurs, ne vous laissez pas intimider par les menaces ni gruger par des promesses, de l'argent ou de la boisson..."
Selon le sous-préfet de Châteaulin, qui soutient le candidat "ministériel" ou "officiel", le sortant Dubuisson, Nicol est un "candidat masqué"
Archives départementales du Finistère, élections législatives, 3 M 300
Contre M. Nicol
« Il a écrit, lui dont la prose donne aux petites institutrices hystériques des pâmoisons presque amoureuses, il a parlé, le dieu des pédagogues, le prince de l’enseignement athée, le tambourinaire de la libre-pensée, le danseur de cordes du cirque anticlérical ! […] Et c’est dans cet individu bourgeois, jésuite, que l’argent des curés a éduqué, que l’argent des contribuables a salarié, que nous autres, paysans et ouvriers, irions mettre notre confiance ? Il ne nous sied pas de nourrir la femme et les enfants d’un Nicol député. Il a une bonne place à Mortain, qu’il la garde. Mais qu’il garde aussi ses conférences pédagogiques et ses sermons qui ne veulent rien dire. Nous n’en voulons pas, d’un député instituteur ; et, au 6 mai, la Masse renverra ce bon apôtre à ses lexiques » - Article signé « un fils de paysan »
Ar Bobl, n° 84, 28 avril 1906
« Le socio-pédagogue Nicol »
Ar Bobl, n°85, 5 mai 1906
« Nicol ou l’organisation du paradis sur terre à bon marché »
Ar Bobl, n° 86, 12 mai 1906
Le signataire de cette diatribe manie très bien la langue française. En bon" fils de paysan", il déteste les citadins aux mains blanches, les bourgeois fonctionnarisés vivant en parasites, le représentant des "pédagogues", terme méprisant désignant les instituteurs publics, dispensateurs d'une morale athée, chargés d'éradiquer la langue bretonne, vantant l'excellence d'une société collectiviste, fondement du paradis terrestre tel que le rêvait Rousseau. Et puis, suprême tare de ce candidat rad-soc: "il a écrit" et publié des lettres courtoises de ton mais hérétiques pour le fond, et donc jugées insultantes, à l'Evêque de Quimper ...
Huelgoat – Réunion électorale publique
« M. Fégean, le nul et tyrannique maire et Conseiller général radical-socialiste, ferme soutien du candidat Nicol, s’écrie que les libéraux ne donnaient jamais à gagner aux pauvres, que les purs Républicains faisaient marcher le commerce et donnaient à ceux qui ont besoin, qu’il n’y avait que les Rouges à faire du bien aux malheureux.
M. Jaffrennou réfute ces arguments […] M. Fégean prend une couleur de tomate, descend précipitamment les escaliers en criant : « Je ne vous répondrai plus ! » . Et il s’éclipse vers sa clique pédagogique pendant que Jaffrennou continuait à causer et obtenait petit à petit le silence. De temps en temps, quelques pédagogues criaient : « Va-t-en ! Kerst da gear ! » - « Après vous ! Var ho lec’h ! ». Cette répartie eut le don de calmer les ours mal léchés qui tapageaient. La réunion se termina faute de combattants, les premiers qui quittèrent la place furent bien Fégean et ses grossiers amis […] Journée honteuse et indigne pour les Nicolistes gavés d’eau-de-vie depuis le matin aux frais de la Caisse rouge et qui s’imagineront peut-être avoir remporté une victoire parce qu’ils ont hurlé comme des veaux pendant deux heures »
Ar Bobl, n° 84, 28 avril 1906
Profession de foi de de Kercadio, candidat de droite pour le second tour des législatives de 1906:
« A la Chambre, je défendrai la Religion qui est la consolation des pauvres gens et que des sectaires veulent nous arracher. Je demanderai la liberté de l’enseignement afin que pauvres comme riches puissent conduire leurs enfants à l’école de leur choix... »
Ar Bobl, n° 87, 19 mai 1906
Personne n'imaginait, en 1906, que la Religion catholique tomberait à une tel degré d'abandon un siècle plus tard. Aristide Briand , rapporteur de la Loi de Séparation, défendait son oeuvre ainsi: si cette Loi engendre la disparition de l'Eglise et de la religion catholiques, c'est que ces dernières sont très fragiles et donc mortelles.
On notera, par ailleurs, que le candidat libéral ne compte pas abolir la liberté du choix de l'école. Autrement dit, il renonce à réclamer la fermeture des "écoles sans Dieu" ("contre Dieu"), mais il sous-entend que les écoles libres doivent bénéficier d'une aide financière de l'Etat, puisque les parents d'élèves religieuses paient des impôts.
« Monsieur le Sous-Préfet, M. Nicol a déjà fait des réunions à Carhaix, Plounévézel, Poullaouen et Collorec. Si je suis bien informé, on mobilise les instituteurs pour l’accompagner, notamment à Collorec où personne ne serait allé à sa réunion, on a fait venir de nombreux instituteurs des communes environnantes »
Lettre de Dubuisson, député sortant, au Sous-Préfet de Châteaulin, 17 avril 1906
« Persuadé comme vous qu’il est de l’intérêt de l’enseignement public que les instituteurs ne fassent pas de politique […] il est absolument inadmissible par exemple qu’un instituteur assistât à une réunion électorale pendant le temps des classes »
Lettre de l’Inspecteur d’Académie en résidence à Quimper au Préfet du Finistère, 29 avril 1906
Archives départementales du Finistère, 1 T 69, Attaques contre l’Ecole laïque et défense laïque, 1905 – 1937
"Aux instituteurs .
Nous avons su de source officielle que tous les instituteurs de l’arrondissement de Châteaulin qui ont soutenu la candidature Nicol, seront déplacés et retardés dans leur avancement. Si M. Dubuisson est élu, il ne manquera pas de se venger et de faire sauter les instituteurs. A défaut de M. Nicol, les instituteurs eux-mêmes, comme tout le monde, ont intérêt à voir passer Kercadio »
Ar Bobl, n° 87, 19 mai 1906
Un appel lancé aux instituteurs afin qu'ils votent pour le candidat catholique !!!
« On a dit que Kercadio n’était pas républicain ; que, s’il passait, le cours des blés serait abaissé et les salaires des domestiques de ferme diminués. On a agité l’épouvantail de la domination des prêtres et des nobles… Ainsi mène-t-on le pauvre peuple, tel un troupeau de moutons. Mais les bergers tondeurs lui disent : « Tu voteras pour Nicol ! ». Le lendemain, les mêmes lui répètent : « Il faut que tu votes pour Dubuisson ». Et le peuple se soumet et, au-dessus de la voix de la conscience, il met la Discipline d’un Parti »
Ar Bobl, n° 88, 26 mai 1906
Scrignac – « Chaque débit ruisselait d'alcool offert par Dubuisson et ses amis. Dès midi, les amis de Kercadio à Huelgoat lui télégraphiait: "Lutte impossible - Argent nous manque". Trois barriques d’eau-de-vie ont été distribuées au compte des Dubuissonnistes, alors que M. de Kercadio ne pouvait disposer que de deux litres seulement par débit [1] »
Ar Bobl, n° 88, 26 mai 1906
[1] Débit, bistrot de boisson, estaminet
Une analyse incomplète de la défaite du candidat de droite: la calomnie et l'utilisation inégale du nerf de toute campagne électorale: l'alcool gratuit..
Incidents de campagne...
Pour la bonne compréhension de la lettre ci-après, situons les acteurs du jeu politique:
L'auteur, Anthoine: maire radical de Carhaix, ancien conseiller général du canton de Carhaix, battu en 1904 par Lancien, commerçant huppé, soutient Dubuisson
Ses deux adjoints, Lemoine et de Jaegher, sont radicaux-socialistes
Fernand Lancien: conseiller général radical du canton de Carhaix depuis 1904, conseiller municipal de Carhaix, médecin, soutient du bout des lèvres Dubuisson
Le maire de Poullaouen soutient Dubuisson, tandis que son premier adjoint est "nicoliste". Lamandé, instituteur, est dubuissonniste.
Fégean, maire et conseiller général d'Huelgoat, en bon radical-socialiste, est un fidèle de Nicol
"Monsieur le Sous Préfet, j'ai attendu le lendemain des élections pour vous mettre au courant de deux affaires qui se sont passées vendredi à Poullaouen.
Après entente avec Fernand Lancien, le Maire, son secrétaire, nous nous sommes réunis dans un local de Poullaouen. J'ai été aperçu par le premier adjoint, nicoliste enragé qui s'empresse de télégraphier au fameux Nicol qui s'amène par le même train que Lancien. [...]
Nicol s'amène chez M. Lamandé, où nous prenions le café, M. Lancien, le Maire, son secrétaire et deux conseillers; lorsque tout à coup comme une avalanche arrive Nicol en tête de 10 à 12 individus ivres, dont le premier adjoint et le facteur Cudonnec, nicoliste enragé..Ces énervés entrent dans la maison en chantant et le fameux Nicol, sans cérémonie, ouvre la porte de la salle à manger et m'apercevant, me montrant du doigt à tous ces ivrognes:"Le voilà, ce lâche, ce délateur, cette casserole, ce Bazaine, cette charogne puante, le voilà, ce lâcheur, qui prétendait rester neutre et qui aujourd'hui marche avec son ennemi de ces temps derniers, le voilà, cet hypocrite, ce jésuite qui fait aujourd'hui alliance avec les réactionnaires et les cléricaux" et toute la bande répétant, en chantant, ces injures: "A bas Anthoine ! A bas le lâche ! etc..." Après ce premier coup de théâtre, il me dit de sortir très probablement dans l'idée de me faire cogner par ces forcenés [...] enfin, ils sont partis.
Vers 4 heures, je suis allé chez le cabaretier y prendre mon cheval. En entrant dans le débit, j'y trouve mes bonshommes, Nicol derrière le comptoir racontant à Fégean et à mes deux adjoints la scène précédente . Aussitôt, me montrant du doigt, il m'adresse les mêmes injures [...] Je présente ma main à mes deux adjoints qui refusent de me la serrer; allant alors à Fégean, je la lui tends également, il me la refuse en me traitant de lâche, Bazaine, enfin les mêmes propos tenus par Nicol; puis s'approchant de moi, il lève la main et me dit:"Sale lâche, pour deux liards, je te gifflerai, cochon, Bazaine, etc...". Je lui présente ma joue en lui disant:"Frappe donc, mais ce n'est pas par les armes que je te demanderai raison, mais en te fichant quelques coups de poing en retour". [..] Il mit ses mains dans ses poches"
Anthoine, maire de Carhaix, au Sous-Préfet de Châteaulin, 7 avril 1906, archives départementales du Finistère, 2 Z 13
La ligne de fracture séparant la gauche modérée de la gauche, sinon extrême, du moins résolument réformiste, passe à travers les conseils municipaux de Poullaouen et de Carhaix.
Une des injures est très particulière:"Bazaine". On ne mesure plus aujourd'hui à quel point la défaite de Sedan le 2 septembre 1870 fut insupportable à nombre de Français et ce jusqu'à la victoire de novembre 1918. La déroute de Sedan fut attribuée au maréchal Bazaine, mauvais stratège et piètre combattant, qui se laissa enfermer dans Metz avec la meilleure armée française et se rendit aux Prussiens sans tenter la moindre contre-attaque... Bazaine est donc, aux yeux de la plupart des Français qui ont vécu entre 1870 et 1918, le responsable de la perte de l'Alsace-Lorraine...
Une autre injure est celle de "casserole": ce terme méprisant désigne les délateurs et surtout les francs-maçons que l'on soupçonne de tenir à jour des fiches sur les personnes qu'ils côtoient (fréquentations, paroles...).
Nicol reproche à Anthoine d'avoir partie liée avec Lancien, alors que deux ans auparavant, les deux hommes étaient à couteaux tirés. Il lui reproche aussi son alliance avec les réactionnaires: il est vrai que Lancien a été élu conseiller général en 1904 avec l'appui de la droite.
On notera aussi que l'alcool influence le comportement de certains élus de l'époque.
Poullaouen
« A Poullaouen, l’intolérable pression des Bellec et Carré [1] de tout acabit en faveur du candidat maître d’école a achevé de bouleverser nos paysans. Poullaouen devrait rougir de n’avoir accordé au candidat libéral c’est-à-dire au défenseur de la vraie République et de la religion que 47 voix . Plaise au Ciel que cette malheureuse commune n’ait pas à regretter son inqualifiable folie »
Ar Bobl, n° 86, 12 mai 1906
[1] Respectivement maire et secrétaire de mairie de la commune
Le Bas-Breton, hebdomadaire républicain châteaulinois, se réjouit de la défaite du candidat de droite patronné par Taldir:
"Les manoeuvres réactionnaires :
On reçoit de Châteauneuf-du-Faou la dépêche suivante:
"Jaffrennou, Bobl, Carhaix
Blaz mad zo gand har (sic) zouben
Mad he (sic) ar chupenn"
Traduction:
"La soupe a bon goût
La veste est bien ajustée"
La soupe :le résultat de la consultation électorale; la veste est évidemment la veste électorale de Taldir
Le Bas-Breton, 26 mai 1906, archives départementales du Finistère, 2 Z 13
RESULTATS du premier tour et du second tour , dans la seconde circonscription de Châteaulin
.
Dernière modification le 17/04/2019