A) Une République dévoyée ?
Ar Bobl fait le procès de la IIIe République, de son personnel politique, trop intéressé, trop peu réaliste, trop volontiers discoureur...
Taldir se situe politiquement au sein de l'"AntiBloc". Le "Bloc des Gauches", qui accapare les postes ministériels entre 1901 et 1906 ("Définition du Bloc: le Bloc est un fromage sur lequel pullulent tous les asticots de la politique véreuse" (L"Echo du Finistère", Morlaix, 6 juillet 1907)), est le moteur d'une l'"invasion laïque" qui fait horreur aux rédacteurs d'ar Bobl, dont Lionel Radiguet:
"Mauvaise gestion
« Pour nous garder de ces réveils terribles [..] ou tout au moins pour nous y préparer, il faudrait […] nous demander ce que vaut aujourd’hui la grande Maison connue sous la raison sociale de l’Etat français [….]
Au point de vue financier, le passif, c’est-à-dire la dette publique de la Maison, est effrayant, fantastique !
Au point de vue de la production de la richesse, notre seule industrie consiste encore aujourd’hui à entretenir, aux frais des contribuables, l’armée de fonctionnaires qui s’emploie à tenir la nation française à l’écart de la grande lutte commerciale et industrielle en comprimant en elle tout instinct d’initiative et tout esprit d’entreprise […] Nos dernières grandes industries, traquées par les gréviculteurs de la Social-Lucullus, passent la frontière avec les capitaux incertains du lendemain.
A notre marine marchande, déjà plus qu’agonisante, on donne le coup de grâce (en) privant de leur pain les dix milles (sic) braves gens qui vivaient de la pêche sur le grand Banc de Terre-Neuve…
Et le soulagement des malheureux et des déshérités ? L’Assistance publique ! Demandez-en donc des nouvelles aux pauvres gens des hôpitaux qui n’ont pas de quoi donner des pourboires aux infirmières laïques qui ont remplacé les sœurs ; demandez-le aux incurables jetés à la porte des établissements de charité privés par les liquidateurs judiciaires ! Et la moralité publique ? Ecoutez seulement causer entre eux les enfants des écoles primaires et les éphèbes des lycées !
[…] Quant à l’armée, vieux ragoton de l’époque de la domination Corse en train de fondre dans la poêle radicalo-socialiste, elle ne correspond plus aux exigences les plus élémentaires de la défense du territoire selon le progrès : […] un spectre d’armée permanente et professionnelle sur le compte de laquelle les voisins savent à quoi s’en tenir ! Ah ! Au moins, les églises paroissiales sont encore ouvertes et leurs pasteurs n’ont pas encore été chassés des presbytères. Ne vous impatientez pas, on finira par là …."
Ar Bobl, n° 10, 26 novembre 1904
L’expression « social-Lucullus » désigne la CGT; le "réveil terrible" désigne la défaite inattendue de 1870 et aussi un futur effondrement face à une poussée allemande; l'"armée de fonctionnaires" : 50 000 en 1864 pour 38 000 000 habitants, 1 000 000 en 1910 (pour 40 000 000 habitants), 5 500 000 en 2011 pour 63 000 000 habitants; "aux frais des contribuables" : l’impôt sur le revenu n’existe pas en 1904, ni, bien sûr, l’impôt sur les grandes fortunes; "les sœurs" : les congrégations religieuses féminines soignantes ont été exclues des hôpitaux publics à partir de 1902; "la domination Corse" : allusion à Napoléon Bonaparte.
L’endettement vertigineux de l’Etat ; la « mondialisation », la fuite des capitaux, le décalage entre les langages parlés dans les salles de classe et hors d’elles ; la réduction des effectifs militaires et de la valeur au combat de l’armée… Un problème alors brûlant : les rapports des Eglises (catholique, protestante, israélite) avec l’Etat : maintien ou abolition du Concordat (Séparation) ?
L'hebdomadaire morbihannais l'Action bretonne" n'est pas en reste, comme le montre l'article ci-dessous, daté du 5 janvier 1910
"Il suffit d'ouvrir les yeux pour s'apercevoir que la France, jadis la première nation du monde, a peu à peu perdu en Europe le rang qu'elle y occupait autrefois. Un ancien ministre des Affaires étrangères, Flourens, a pu, sans soulever de protestations autorisées, montrer notre patrie, réduite à évoluer, comme un satellite, dans l'orbe des rivales auxquelles elle donnait le ton. Nous avons vu la main de l'étranger faire et défaire nos ministères. L'un des ministres d'hier, Rouvier, a laissé tomber de ses lèvres cet aveu poignant: "La France se dissout". Le ministre Pelletan a pu être qualifié de épéril national" par un de ses collègues en radicalisme et M. Millerand n'a pas craint de stigmatiser le régime instauré par M. Combes - régime qui subsiste toujours - en le nommant une "dénomination abjecte".
La France est riche, mais son or est mal utilisé (bas de laine ou emprunts russes); son système d'enseignement primaire est l'un des tout meilleurs au monde, mais l'enseignement scientifique secondaire et supérieur est négligé. Son empire colonial vient au second rang planétaire, mais est mal mis en valeur par des commerçants et de rares industriels trop pressés de faire fortune, aidés par des missionnaires bien intentionnés mais maladroits et des soldats carriéristes qui ne s'embarrassent guère de fioritures ni de compassion. L'agriculture française, abritée derrière le "tarif Méline" (protectionnisme douanier), est routinière. Le malthusianisme démographique est bien enraciné. En bref, beaucoup de ressorts sont cassés...
Le radical Pelletan est un bien piètre ministre de la Marine et le socialiste Millerand qualifie d'"abjecte" la politique fanatiquement anticléricale menée par Combes..
2) De mauvaises habitudes: le verbiage, l'intolérance, la pusillanimité, le mensonge..
Dernière modification le 06/04/2019