Ar Bobl (1904 - 1914)

Le journal de Taldir Jaffrennou: "le Peuple"

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14/08/2023

2) Les missions...

          Les missions sont des exercices religieux (prières collectives, confessions individuelles, processions souvent nocturnes, communions, sermons longs, commentaires « traumatisants » de « tableaux » représentant les pécheurs et pécheresses commettant les péchés capitaux) répétés pendant au moins une semaine et  parfois quatre,  et se terminant par la promesse solennelle de s’abstenir désormais de pécher… C’est un spectacle qui rompt la monotonie de la vie paysanne (on verra, parmi les documents supplémentaires, des descriptions plus détaillées) .

   En outre, certains  missionnaires étaient précédés de la flatteuse réputation de "faiseurs de miracles". Ainsi, le Père Maunoir, guérisseur après sa propre disparition (1683): on compte, parmi les "miraculés du "Tad Maner"" de la période 1683-1709), trois personnes de Poullaouen,, une de Kergloff, une de Cléden-Poher, trois de Carhaix, une de Scrignac, une de Berrien, une du Huelgoat, une de Plouyé, une de Motreff, une de Saint-Hernin, une de Landeleau, une de Châteauneuf-du-Faou et une de Plonévez-du-Faou  (d'après Georges Provost, la Fête et le sacré - Pardons et pèlerinages en Bretagne aux 17e et 18e siècles, Paris, Editions du Cerf, 1998, 530 pages)

    Aux yeux du clergé catholique, une mission est un remède de choc destiné à régénérer la spiritualité et la moralité des paroissiens. Le problème est de le placer judicieusement dans l’année, en fonction de la météorologie et des impératifs agricoles.

 

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                                  Programme de la mission donnée à Scrignac en 1897

Traduction

Chaque jour, pendant la Mission, il y aura

A 7 heures, les prières, la messe, l’examen de conscience

A 9 heures, sermon

A 10 H 30, conférence

A 11 H 30, Angelus

A 13 H 30, explication des tableaux

A 15 H 30, conférence

A 17 heures, sermon, prières, bénédiction

 

Rappel : Après chaque sermon, on confessera jusqu’au sermon ou la conférence qui suivront,

mais non entre l’Angélus de midi et 13 H 30

 

Les sermons suivent l’ordre des pages du livre de cantiques pendant les deux semaines

Lundi : le salut de l’âme, les péchés

Mardi : le mauvais exemple, la mort

Mercredi : les trépassés, l’ivrognerie

Jeudi : le Jugement dernier, l’enfer

Vendredi : la contrition, l’Eglise

Samedi : avant et pendant la Communion ; fin de la Mission

 

Liste des noms des prêtres qui viendront faire la mission

 

Après la Mission : chaque chrétien devra, pour le moins, 1) dire chaque jour ses prières  2) aller chaque  dimanche à la messe  3) se confesser et communier à Pâques et une fois ou deux dans l’année ou aux grandes fêtes, celles de Sainte Anne, de la Toussaint, de Noël, ou aux grandes fêtes de l’Eglise   4) faire partie de l’une des confréries érigées dans cette église, le Rosaire, les Trépassés, Saint François de Sales, la Propagation de la Foi ou la Doctrine chrétienne"

Archives du presbytère de Scrignac


Carhaix – « Mission à Saint-Trémeur du dimanche 2 décembre 1906 au 6 janvier 1907; trois premières semaines en français par les Révérends Pères Rédemptoristes; dernière semaine en breton »

Ar Bobl, n° 113,     24 novembre 1906

     

      Quatre semaines, de part et d’autre de la « vieille semaine » (24-31 décembre), de mission, ce n’est pas de trop, estime le clergé carhaisien, pour « secouer » une ville qui vient d’accorder, lors des élections législatives du printemps 1906,  356 voix (55,5 % du total des suffrages exprimés) au candidat rouge, célèbre pour ses philippiques adressées à l’Evêque de Quimper, contre 201 au « radical  blanc » qui a refusé d’approuver la loi de Séparation et 84 seulement au candidat catholique. On notera aussi que les citadins parlent majoritairement le français, même si les commerçants utilisent le breton surtout le samedi, jour du marché que fréquentent en masse les habitants des communes rurales.

Même à l’école des Frères, l’enseignement exclut le breton. Quant aux cheminots : les « chefs », rarement d’origine bretonne, ne parlent que le français ; s’ils veulent comprendre les ordres, oraux ou écrits, les employés subalternes doivent améliorer leur pratique de la langue française…

  

Carhaix - « La mission prêchée par les Pères rédemptoristes s’est terminée aujourd’hui... Je suis assez indifférent en matière religieuse mais je suis loin d’être hostile...

      Ces Messieurs les Pères auraient-ils en trois semaines retourné Carhaix sens dessus dessous.... ? Dans ces porteurs de croix, dans ces hommes qui suivaient le clergé ou avaient décoré leurs maisons, je suis certain d’avoir reconnu plus d’un anticlérical notoire.... Quand je dis anticlérical, c’est irréligieux que je devrais dire...

 

      Quant aux deux candidats à la députation de 1906, un  [De Kercadio, candidat libéral] d’eux  était partisan de l’ordre et de la liberté religieuse.  Les Carhaisiens n’en ont pas voulu. Ils ont voté pour celui  [Dubuisson, candidat radical] qui, sauf ses abstentions légendaires, a contribué de son mieux aux mesures vexatoires prises contre les couvents et contre les prêtres... 

     Si les Carhaisiens furent sincères dans leur conduite d’hier, toutes nos félicitations aux missionnaires pour ce beau miracle.. Mais je crains bien que tout en arborant la croix, tout en l’acclamant, ils ne soient pas encore prêts, par leurs votes illogiques,  à détruire demain ce qu’ils adoraient hier...    Ne croyez-vous pas que, si plusieurs étaient là par esprit de foi, beaucoup s’y trouvaient par amour de la parade ou par simple besoin de paix dans le ménage ? »  - Lettre anonyme adressée à ar Bobl

Ar Bobl, n° 118, 29 décembre 1906

 

   Cet auteur anonyme, qui pourrait fort bien être Taldir lui-même, dénonce l’hypocrisie de bien des assistants et participants à un exercice religieux public ; est soulignée aussi la dissymétrie des sexes, l’attitude religieuse des femmes étant notoirement plus « consolante », aux yeux du clergé, que celle des hommes, souvent qualifiés de « massacreurs de la foi ». Il est possible aussi que certains hommes séparent sphère religieuse et sphère politique…Cependant, l’explication la plus vraisemblable met en avant l’existence de « catholiques à gros grains », qui, pratiquant de moins en moins souvent, ont d’abord abandonné les exercices quotidiens (la prière), puis les exercices hebdomadaires (la messe), puis les Grandes Fêtes, y compris Pâques, pour se contenter, en fin d’évolution, d’assister aux événements exceptionnels (la mission, « spectacle total ») ou aux cérémonies fondamentales (baptême, mariage, funérailles).

 


                       Si l'on calcule les taux de participation des adultes des deux sexes aux missions, puis à la communion pascale précédée d'une confession en règle et d'un jeûne, on observe, entre 1900 et 1913, selon l'orientation politique des communes, les résultats ci- dessous, dans le Poher finistérien (cantons de Carhaix, Châteauneuf, Huelgoat, auxquels il faut ajouter les communes de Brennilis et Loqueffret):

 

Exercices religieux communes de gauche communes de droite
MISSIONS 98 % 99, 2 %
PAQUES 72,5 % 94,8 %


   En dernière analyse, il semble que les missions réveillent, au moins provisoirement, la piété des croyants, mais n’amènent ou ne ramènent pas à la religion les incroyants.






Dernière modification le 20/03/2019

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