Ar Bobl (1904 - 1914)

Le journal de Taldir Jaffrennou: "le Peuple"

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14/08/2023

                                                                                    Page complétée en mars  2017

 

 

c) Oui !  

 

    Une mobilité sociale se fait lentement jour.

Examinons d'abord l'exemple de Callac (Côtes-du-Nord), 3418 habitants en 1891, 3607 en 1911

Les strates suivantes ont été ainsi composées

- Clergé: prêtres, religieuses

- Bourgeoisie savante: avocat, médecin, pharmacien, vétérinaire, juge de paix, notaire, huissier

- Entrepreneurs: en bâtiment, carriers, gros meuniers

- Artisans: du bâtiment, du fer (forgeron, charron, ferblantier), du cuir (cordonnier, bottier), du tissu et du vêtement (tisserand, tailleur), des métiers de bouche (boulanger, fournier, boucher, charcutier, pâtissier, crêpière), du transport (voiturier, charretier), du luxe (bijoutier-horloger)

- Commerçants: débitants (bistrotiers), hôteliers, marchands de chevaux ou de porcs, quincailler, mercière, modiste, etc..

- Fonctionnaires: des impôts, de l'instruction publique, de la poste, de la voirie

- Employés: savants (clercs, comptable, employé de pharmacie, cuisinière) ou non (employé de magasin)

- Ouvriers: du bâtiment, du fer, du cuir, des métiers de bouche

- Cultivateurs: peu de propriétaires, une énorme majorité de fermiers, semble-t-il

- Aides familiaux: fils, fille, nièce, tante, oncle, père, mère

- Commis et servantes de ferme

- Prolétariat à domicile: couturière, repasseuse, buandière, lingère, ravaudeuse

- Prolétariat de maison: domestiques et "bonnes à tout faire"

- Sous-prolétariat agricole: journaliers

On précise que femmes et hommes ont été regroupés pour chacune des années considérées (sur le graphique, les nombres négatifs sont en fait positifs)

[JPG] Callac strates 1891 1911

 

Les changements intervenus entre  1891 et 1911 sont...

 

 

logiques, nets

et numériquement

décroissants

logiques, nets

et numériquement

croissants

Logiques, limités

et numériquement

croissants

Inattendus,

nets

et numériquement

décroissants

Inattendus,

nets

et numériquement

croissants

Inattendus

limités

et numériquement

décroissants

- Bourgeoisie foncière

- Commis et servantes

de ferme

- Sous-prolétariat

agricole

- commerçants

- fonctionnaires

- bourgeoisie

savante

- prolétariat de

maison-

Prolétariat à domicile

- Clergé

- artisans

- ouvriers

 - Cultivateurs

- aides familiaux agricoles

 - employés

 

 

 

Ainsi à Carhaix, vers 1860-65, les conscrits étudiants en pharmacie, médecine, chirurgie étaient tous, sans exception, fils de pharmacien, médecin. A la veille de la Grande Guerre, deux étudiants en médecine sont fils l'un d'un instituteur, l'autre d'un marchand de bestiaux-cultivateur..

L'hebdomadaire morlaisien "L'Echo du Finistère" (1905-1912) relate, dans son numéro 193, daté du 14 août 1909, le déclin des vêtements de grossière étoffe et, partant, des "pilhaouer":

 

"HUELGOAT - Adieu "pillou"

   Il y a quarante ans à peine, tous les hommes de la partie centrale de l'Arrée, de Botmeur, Brennilis, Loqueffret et la Feuillée, principalement, portaient les vêtements en laine brune ou rousse, faits d'un drap tissé à la campagne, appelé vulgairement "pillou" ou "brugaillez" ou "berianj". L'habillement entier, chupen ou veste à courtes basques, gilet et pantalon, se taillait dans ce drap dont la trame était du fil de chanvre.

   Peu à peu, on recourut pour le gilet et le pantalon, au drap dit drap de fabrique. Pourquoi ce changement ? La raison en est simple. Jusqu'à la loi du 6 décembre 1850, la montagne était indivise. Chaque co-propriétaire l'exploitait à sa façon, et beaucoup y avaient d'assez forts troupeaux de moutons. La laine s'obtenait ainsi à bon compte. Quant au chanvre, rare maintenant, on le cultivait autant pour se procurer une trame que pour avoir de la toile.

   L'application de la "charte de constitution de la  propriété individuelle", en supprimant les anciens communaux, entraîna la disparition du mouton du canton d'Huelgoat. Plus de moutons, plus de laine, et moins d'effets en pillou. Ceux-ci sont si peu portés qu'aux récentes  fêtes de Morlaix, on ne pouvait voir que deux paysans revêtus de l'antique costume en gloan rouz. Les deux étaient de Botmeur. Et nous pouvons dire que, s'ils étaient regardés, ils étaient loin d'être admirés. Eun habit gloan est résistant sans doute, mais guère beau".

L'Echo du Finistère, 14 août 1909



  Cet organe de presse est contredit par les recensements officiels des populations de quatre communes de l'Arrée (Cantons d'Huelgoat et de Pleyben)

 

[PNG] pilhaouer 1886 1911

   En un quart de siècle, la proportion de chefs de famille exerçant la profession de "marchand de chiffons"  recule certes à Loqueffret mais  augmente dans les trois autres communes et, pour deux d'entre elles, de manière considérable. C'est là une évolution inattendue. A Brennilis particulièrement, un chef de famille sur quatre arpente mauvaises routes et chemins creux du Léon, du Trégor et de Haute-Cornouaille, suivi d'un fils ou deux, tandis que l'épouse et les filles vivotent  sur la petite ferme. 

 


[PNG] scolarisation png

 

    Le certicat d'études primaires obtenu en 1907 à treize ans par mon grand père, Emile Marie Michel (1894-1981), né, scolarisé, marié à Carnoët (Côtes-du-Nord). Fin des études, début de l'apprentissage de charpentier-menuisier sous la férule de son père, avant quatre années de Grande Guerre.

 

[JPG] CEP Emile Michel

 

 

   Les "lois Ferry" de 1881-82 accélèrent un processus de scolarisation déjà chiffrable au début de la Monarchie louis-Philipparde, mais ne permettent pas d'atteindre la "perfection" (100 % d'enfants de 6 à 13 ans en classe).

 

[PNG] Lohuec sortie école de filles cpas 22 red

                                                Une école rurale type: Lohuec, canton de Callac (22). Ecolières en tabliers, écoliers en vestes et bérets. Et tout le monde en sabots de bois...

Avec l'aimable autorisation de CPA 22

 

[JPG] Mur de Bretagne ecole libre de garçons AD22_16Fi_2628_2368

L'école libre de garçons de Mûr-de-Bretagne (Côtes-du-Nord).  Même disposition que celle d'un établissement rural public: clôture, préau, cour, deux classes à grandes fenêtres. Apparemment, aucun symbole religieux (croix, statue)..

 

Les filles, objets de l'attention des Ministres de l'Instruction publique. Surtout, ne pas les laisser fréquenter l'école de la superstition..

 

 

    Si l’on fait abstraction des variations dues à une natalité capricieuse, on constate que, dans le Poher du Finistère (cantons de Carhaix, Huelgoat, Châteauneuf et  communes de Brennilis et Loqueffret), sur une grosse dizaine d’années, le nombre de garçons et de filles présentées croît. Les filles rattrapent progressivement, sans l’effacer complètement, un retard très ancien.

  C’en est au point qu’une Ecole primaire supérieure de filles ouvre ses portes à Carhaix à la veille de la Grande Guerre. Ces jeunes élèves se dirigent vers les carrières de l’administration : les Postes, la perception, l’enseignement.

   Même un journal de droite catholique, comme l'"Echo du Finistère" (1906-1912), édité à Morlaix, se réjouit, dans son numéro 107, daté du samedi 21 décembre 1907, du remarquable succès d'un jeune scrignacien. Il est vrai que ce lauréat est un cousin de François Jaffrennou, lui-même apparenté à Lajat, directeur de l'Echo du Finistère et futur barde. Devenu ingénieur, Guillaume Jaffrennou se présente aux élections législatives de 1936 dans la circonscription natale, sous l'étiquette "républicain socialiste" (comprenez "radical-socialiste"). Après l'insuccès du premier tour, il retire sa candidature et laisse face à face le socialiste Masson et le futur député Lohéac (droite).

[PNG] Jaffrennou Scrignac n° 107 21 12 1907.PNG


ON  VERRA, EN ANNEXE N° 1, LES LISTES DES ELEVES RECU(E)S PUBLIEES CHAQUE ANNEE par  "AR BOBL"

 

"Motreff - Ecole normale - Mlle Angèle Goarvot, âgée de 15 ans, de l'Enez en Motreff, vient de subir avec succès le concours d'admission à l'Ecole normale de Quimper. Elle a été reçue 9e sur 138 - Toutes nos félicitations"

Ar Bobl, n° 100, 18 août 1906

 

    " Plévin - Pensionnat du Père Maunoir

Mesdemoiselles Marie Jacq et Marie Germaine Le Moël, cette dernière avec dispense d'âge, ont subi avec succès les épreuves du Brevet élémentaire"

Ar Bobl, n° 408, 12 octobre 1912


La Feuillée:

« 1911 : la bibliothèque de l’école des filles est en voie de formation. Celle de l’école des garçons compte actuellement 206 ouvrages dont 191 peuvent être prêtés aux familles. Le nombre de prêts s’est élevé à 426 en 1910 contre 300 en 1909. Il est à remarquer qu’à la Feuillée, les adultes lisent autant que les élèves, car, dans cette commune dont les habitants sont les habiles intermédiaires commerciaux entre le Léon et la Cornouaille (pilhaouer), tout le monde parle le français comme le breton et a un vif désir  d’étendre ses connaissances. Tant de bonne volonté un tel désir de s’instruire me semblent devoir être encouragés »  

 Rapport de l’Inspecteur primaire à l’Inspecteur d’Académie, 2 avril 1911, archives départementales du Finistère, 1 T 804


[PNG] conscrits

« Nous avons vu la Révolution supprimer, au nom de la liberté individuelle, les corporations et nous voyons la IIIe République, fille de la Révolution, autoriser, encourager la création de syndicats professionnels, rétablissant ainsi, cent ans après, l’esprit de corps, les préjugés de castes, la lutte des classes  - Jean Choleau »

Ar Bobl, n° 30, 15 avril 1905

   Les corporations d’Ancien Régime fonctionnaient surtout au profit des maîtres d’atelier ou de boutiques, beaucoup moins en faveur des compagnons (ouvriers) et apprentis. En raison de leur voisinage dans une même rue ou des ententes illicites, la concurrence entre ateliers de  productions semblables était faible. Le client n’y trouvait guère son compte. 

  La Révolution de 1789 applique au monde artisanal et de la boutique le principe de la liberté économique (libre concurrence). Celle-ci aboutissant souvent à la baisse des salaires, les ouvriers réclament et obtiennent droit de grève (1864) et de former des syndicats (1884). 

 

  « Masson, un grand diable barbu, admet que l’on puisse tout de même posséder ses outils, ses meubles, une maisonnette, un champ si on le travaille soi-même; pour le reste, tout est nationalisé... »  

Ar Bobl, n° 191, 22 août 1908

 Jules-Hippolyte Masson (1875-1966), militant socialiste SFIO, employé des postes, maire de Brest (1908), est le futur député de la circonscription de Carhaix (1928-1936). C’est en tant que Conseiller de la République (Sénateur) qu’il termine sa carrière politique  (1946-1955). 

   Masson décrit ici le système du kolkhoze  tel que le Parti communiste de l’Union soviétique le fait fonctionner tant mal que bien de 1930 à 1990. Du strict point de vue socialiste, cette enclave capitaliste (maison, champ) est une hérésie doctrinale, mais une nécessité psychologique (l’attachement du paysan à la propriété privée ne saurait être extirpé). 

 

« Réflexions régionalistes sur la grève des Postes : « Les vrais partis d’ordre, le nôtre entre autres » »

Ar Bobl, n° 222, 27 mars 1909

    Ar Bobl fait allusion à l’Union régionaliste bretonne, qui compte une forte proportion de notables conservateurs. 

    Clémenceau enfonce le clou: « On n’est pas obligé d’être fonctionnaire ; quand on l’est, on a certaines obligations à remplir. Il y a encore en France un certain nombre de citoyens qui ne le sont pas ; je prétends qu’ils ne doivent pas être à la merci de tous les autres »  (avril 1907, à la Chambre).

 

Revenus  et popularité électorale des conseillers municipaux de Spézet et Collorec

SPEZET

[PNG] fortune édiles Spézet 1871 -1908

   Les résultats des élections municipales sont politiquement et sociologiquement limpides. . Après avoir évincé les "gros" en 1884, les "petits" perdent le pouvoir, même si en 1908, ils opèrent une reconquête partielle

 

COLLOREC

 

[PNG] fortune édiles Collorec 1871 -1908

   Les conseillers municipaux de Collorec sont tous cléricaux, même les plus pauvres

 

Huelgoat – Deux poids, deux mesures

      « On nous écrit : M. Le Maire d’Huelgoat vient de prendre un arrêté interdisant la libre circulation des chiens. Or, M. le Maire possède trois chiens, un seul est attaché, les deux autres continuent leurs courses par les rues de notre ville. M. le Maire devrait s’occuper de choses plus urgentes. Faut-il lui rappeler  le cas d’un piqueur de pierres, marié et père de trois petits enfants, qui s’est trouvé aveugle par suite d’accident du travail sur l’emplacement où s’élève aujourd’hui la distillerie de M. Le Scour, beau-frère de M. le Maire. Cela se passait au mois d’avril dernier et depuis ce malheureux est plongé dans la misère. La loi sur les accidents du travail n’est-elle pas applicable au Huelgoat ? »

Ar Bobl, n° 53, 23 septembre 1905

   Le maire d’Huelgoat, Fégean, tavernier et marchand de vins, est le plus riche citoyen de cette petite cité. Ce qui ne l’empêche pas d’adhérer au parti radical et radical-socialiste, fondé en 1901, qui, selon la formule fameuse d’Edouard Herriot, « défend d’instinct tout ce qui est petit contre tout ce qui est gros ».  Cette orientation politique lui permet de participer à la vente aux enchères des biens de l’église de Poullaouen en 1908. Il est à couteaux tirés avec François Jaffrennou, dont le grand père fut très longtemps maire de Bolazec. Notre journaliste dispose d’un informateur au Huelgoat. Ce dernier semble outré par le « faites ce que je dis, pas ce que je fais » du maire, son dédain pour les malheureux… 

 

  « Les députés de l’Ouest ont opté contre le rachat de la Compagnie de chemin de fer de l’Ouest par l’Etat, par 76 voix contre 4. Motion remise au Ministre des Travaux publics »

Ar Bobl, n° 114,    1er décembre 1906

  « Le rachat de la Compagnie de l’Ouest est voté par 364 voix contre 187 à la Chambre »

Ar Bobl, n° 116, 15 décembre 1906.

   Selon la formule célèbre,  il convient « de  privatiser les profits et de socialiser les pertes ». La Compagnie de l’Ouest de chemins de fer perdait de l’argent. La majorité, conservatrice, des députés de l’Ouest de la France aurait préféré le rachat par une nouvelle compagnie qui aurait épongé le déficit de la société dissoute. Mais la majorité de gauche de l’Assemblée nationale opte pour une nationalisation, c’est-à-dire une étatisation : l’Etat, c’est-à-dire l’ensemble des contribuables français, désormais propriétaire (rails, gares, wagons, locomotives), indemnise les actionnaires et endosse les dettes, c’est-à-dire que les créanciers de l’ex-compagnie privée reçoivent leur dû.. Ce n'est là que le début d'un long processus de trois quarts de siècle.. 

 

Carhaix - « La Communiste, société coopérative ouvrière de construction concernant le bâtiment, porte à la connaissance des propriétaires qu’elle est établie pour exécuter rapidement tous les travaux...  Siège social : Le Meur, délégué, 10 rue des Ursulines, Carhaix »  

Ar Bobl, n° 423,  25 janvier 1913

    Il s’agit ici d’une autre forme de socialisme, idéologiquement opposé à l’étatisation. En effet, cette entreprise applique les règles de l’autogestion, fondement idéologique de l’extrême-gauche anarchiste. Chaque membre de l’entreprise est tout à la fois travailleur, propriétaire et gestionnaire (fixation de la durée du travail, des salaires, mais aussi recherche de clients et surtout licenciement des associés paresseux ou malhabiles, par un vote). 

      Ce système, très séduisant sur le papier, suppose que tous les associés donnent le meilleur d’eux-mêmes et que les compétences, quelles qu’elles soient, soient également rémunérées. 

       Cette entreprise socialiste entre en concurrence avec des entreprises capitalistes. Si elle succombe, la formule paraîtra fragile et la naissance d’une société socialiste en sera  repoussée … 






Dernière modification le 13/03/2019

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